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Les sadiques aiment-ils le café ? Et l'inverse ?

Depuis le début de la semaine, les titres de la presse se succèdent et se ressemblent : "Les sadiques préfèrent leur café sans sucre"… "Si vous aimez le café « ristretto », c'est peut-être parce que vous êtes un psychopathe"… Autant d’articles pour relayer une étude autrichienne dont les limites méthodologiques sont nombreuses, et les conclusions fragiles.

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le

Pour un chercheur, publier une étude sur le café offre la garantie d’une reprise large et rapide dans les médias. En effet, quoi de plus concernant pour les lecteurs ou les auditeurs que le café, savouré l'œil ou l'oreille distraitement porté(e) sur les actualités ?

La dernière "étude sensationnelle sur le café" en date est signée par deux chercheurs autrichiens[1], et porte sur deux expériences distinctes.

Dans un premier temps, 504 hommes et femmes ont rempli un questionnaire sur leurs préférences alimentaires à l’égard de 40 aliments présentés aléatoirement (mais dont un quart étaient considérés particulièrement amers par les chercheurs, comme le café, les radis, le céleri, la bière…). Ils devaient ensuite compléter un questionnaire de personnalité (les participants devaient valider ou invalider des affirmations telles que "j'ai menacé des gens que je connais" ou "si l’on me provoque suffisamment, je peux frapper une autre personne").

L'analyse statistique a montré que, dans l’échantillon testé, les personnes qui ont le mieux noté les aliments amers sont ceux qui se sont attribué des comportements plus "machiavéliques", "narcissiques", "agressifs" et "sadiques" que les autres. Mais une première limite méthodologique est apparue aux chercheurs : on peut ajouter du lait et du sucre à son café pour masquer son amertume, aimer ses radis bien beurrés et salés, et apprécier certaines bières pour peu qu’elles ne soient, justement, pas trop amères…

Une seconde expérience pour affiner les résultats

Un nouveau groupe d’étude[2] a été constitué. Cette fois-ci, les participants classaient en trois catégories ("j’aime", "je n’aime pas", "ça me laisse indifférent") vingt aliments considérés sucrés ou amers par les auteurs. Ils devaient également préciser si, pour eux, ces aliments étaient amers, sucrés, salés ou acides. Un test de personnalité similaire à ceux de la première expérience a été soumis aux candidats.

Premier constat : la moitié des aliments préjugés "amers" par les chercheurs n’étaient pas considérés comme tels par les personnes interrogées. Pour ces aliments déclassés, les associations statistiques entre amertume et psychologie disparaissaient.

Les auteurs ont toutefois observé que les personnes s'étant attribuées des tendances "sadiques" (et, dans une moindre mesure "machiavéliques" et/ou "narcissiques") s’étaient préalablement déclarées amatrices d'amertume. Aucun lien avec l'agressivité n'est apparu cette fois-ci.

Mais voilà : les chercheurs craignent que leurs travaux n'aient fait que "capturer un stéréotype". En interrogeant d’abord les gens sur leurs goûts alimentaires, et en attirant leur attention sur la notion d’amertume, ils craignent d'avoir biaisé les résultats. Ceux qui ont réalisé qu’ils aimaient la saveur amère auraient pu se juger d’une nature "amère" par association d'idée…

D'autres sources de confusion

D’autres phénomènes auraient pu influencer les résultats. Aucune information n’est donnée sur le profil socio-économique des participants à l’étude. Or, les personnes travaillant dans des environnements stressants et compétitifs pourraient être amenés à consommer de grands quantités de café (et de s’habituer à son goût, bon gré mal gré !), tout en étant placées dans des situations inconfortables, qui leur font adopter des comportements mal notés par le questionnaire (être "manipulateur" dans les négociations, être irrité au-delà du supportable, etc.).

Autre fait étrange, relevé par les auteurs : le trait de personnalité le plus fortement associé à l’appréciation de la saveur amère est le "sadisme quotidien". Or, des travaux antérieurs avaient suggéré que l’appétence pour l’amertume était liée à des émotions tendanciellement plus négatives lors du visionnage de séquences tristes ou très choquantes… soit l’opposé de ce qui serait attendu d’un sadique.

Ceci montre à quel point cette étude isolée et conçue sans précautions méthodologiques suffisantes, doit être prise avec des pincettes.

Mais les réserves que l’on peut formuler n’excluent pas l’existence de liens entre goût et personnalité. Le champ de recherche n’est pas neuf. De petites études ont ainsi suggéré que les amateurs de piments "tendraient à apprécier les sensations fortes" (grand huit, pratiques à risque), ou que la consommation récente de produits amers "favoriserait l’agressivité"… Autant d’observations qui, faute de réplication, constituent moins des faits scientifiques que des hypothèses de travail.

Gare à ne pas juger vos collègues sur le contenu de leur tasse !


[1] Publiée mi-septembre dans la revue Appetite, elle s’intitule Individual differences in bitter taste preferences are associated with antisocial personality traits ("les différences individuelles dans la préférence du goût amer sont associées à des traits de personnalité antisociale") doi:10.1016/ j.appet.2015.09.031

[2] 449 participants, différents de ceux de la première expérience.

Si de futures études, menées auprès de personnes souffrant de psychopathies, mettaient en lumière quelque tendance à apprécier l’amertume, il ne faudrait pas en conclure que tous les amateurs de café présentent ces tendances !

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