La viande rouge, finalement sans danger pour la santé ?
Selon un panel de chercheurs indépendants le risque lié à la viande rouge et à la charcuterie est faible et les preuves incertaines. La publication de leurs nouvelles recommandations a déclenché une tempête scientifique.
Faut-il ou non moins manger de viande rouge ? Alors que de précédentes études scientifiques recommandaient de limiter la consommation de viande rouge et de charcuterie pour prévenir cancers et maladies cardiovasculaires, une nouvelle publication sème le trouble. Des chercheurs indépendants de sept pays différents ont réexaminé des dizaines d’étude et ont conclu que le risque potentiel est faible et les preuves incertaines, créant une tempête scientifique.
A lire aussi : Faut-il se méfier de la viande ?
"Continuer sa consommation actuelle"
Dans l’article qu’ils publient le 1er octobre 2019 dans la revue Annals of Internal Medicine, les scientifiques émettent de nouvelles recommandations, approuvées par 11 des 14 chercheurs composant le panel à l’origine de ces travaux.
Ainsi, ils "[conseillent] aux adultes de continuer leur consommation actuelle de viande rouge", c'est-à-dire une moyenne de trois à quatre portions par semaine en Amérique du Nord et en Europe. Et ils dictent la même consigne pour la charcuterie.
Une baisse de la mortalité jugée modeste
Et pour cause : selon leur ré-analyse collective de multiples études, les auteurs de la publication indiquent que réduire la consommation de viande rouge de trois portions par semaine pourrait abaisser la mortalité par cancer de sept morts pour mille personnes, ce que les chercheurs considèrent comme une baisse modeste. En outre, ils insistent : le degré de certitude de cette statistique est "faible".
Pour la charcuterie et les maladies cardiovasculaires et le diabète, la qualité des preuves est même jugée "très faible" par l'équipe. "Il y a de très faibles réductions de risque pour le cancer, les maladies du coeur et le diabète, et en outre, les preuves sont incertaines", résume à l’AFP Bradley Johnston, professeur associé d'épidémiologie à l'université Dalhousie au Canada, et directeur du groupe NutriRECS, qui a rédigé les consignes. "Peut-être qu'il y a une réduction du risque, ou peut-être pas", conclut-il.
Pour une médecine plus personnalisée
Avec leur nouvelle analyse, les chercheurs disent vouloir faire mûrir le domaine des recommandations nutritionnelles, qu'ils jugent représentatives d'une "vieille école" trop axée sur les bénéfices sociétaux et non individuels, afin d'aller dans le sens d'une médecine plus personnalisée.
Les auteurs de la publication affirment ainsi que les recommandations qui font généralement autorité ne font pas assez valoir que le risque absolu reste faible, et qu'il reste très difficile d'isoler l'effet d'un aliment particulier sur toute une vie, de multiples causes autres que le régime alimentaire pouvant influer sur la santé.
"Nous livrons aux gens notre meilleure estimation de la vérité, qui est incertaine. Selon leurs propres préférences, ils peuvent décider de réduire ou d'éliminer" la viande et la charcuterie, poursuit Bradley Johnston. "Les gens devraient utiliser cela pour faire des choix mieux informés, plutôt que des organisations leur disent d'autorité ce qu'il faut faire", appuie-t-il.
"Mais notre recommandation est que, pour la plupart des gens, la meilleure approche est de continuer, étant donné la très faible réduction de risques et l'incertitude des preuves."
A lire aussi : Alimentation : les Français mangent de moins en moins de viande
Une philosophie qui fait débat
Les consignes publiées lundi ont donc suscité une volée de critiques dans le milieu des experts en nutrition et en épidémiologie, c'est-à-dire la discipline étudiant le rapport entre les maladies et les facteurs pouvant les causer. Tout en approuvant la rigueur des nouvelles analyses, beaucoup différaient sur la philosophie des conclusions.
En parallèle, des experts de l'école de santé publique d'Harvard contestent la notation "faible" accordée par les auteurs des nouvelles consignes aux études sur la viande. La plupart des études sur l'alimentation sont "observationnelles", c'est-à-dire qu'elles suivent des gens dans la durée en tâchant d'enregistrer ce qu'ils consomment.
Certes la méthode ne permet pas de trouver d'effet de causalité, par rapport aux études dites "randomisées" qui comparent deux groupes recevant deux traitements différents, mais elle est plus adaptée au domaine, écrivent-ils. Si la même approche était appliquée aux fruits et légumes, à l'activité physique ou la pollution, "aucune des consignes sur ces facteurs ne serait soutenue par des preuves de qualité haute ou même modérée", clament-ils, défendant un principe de précaution.
"C’est comme porter un casque à vélo"
Actuellement, la réduction de la consommation de viande rouge et de charcuterie est un pilier des recommandations nutritionnelles dans de nombreux pays. La dernière édition publiée en janvier par Santé Publique France recommande par exemple de limiter la charcuterie à 150 grammes par semaine et les viandes autres que la volaille à 500 grammes. De son côté, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), agence de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), classe la viande rouge comme "cancérogène probable" et la charcuterie "cancérogène".
Le risque de cancer colorectal lié à la charcuterie est peut-être faible, pointe ainsi le professeur Tim Key, sous-directeur de l'unité d'épidémiologie du cancer à Oxford, mais au niveau d'une population, il n'est pas négligeable. C'est comme porter un casque à vélo, dit Marji McCullough, épidémiologiste de l'American Cancer Society. Certains aiment avoir les cheveux dans le vent, écrit-elle, mais "tout le monde s'accorde pour dire qu'il faut porter un casque, car les recommandations de santé publique sont fondées sur leur effet sur l'ensemble d'une population".
"manger avec modération"
Enfin, le Word Cancer Research Fund a indiqué qu'il ne changerait pas ses consignes: "Nous maintenons notre confiance dans la recherche rigoureuse conduite depuis 30 ans", a déclaré sa directrice de la recherche, Giota Mitrou.
Pour John Ioannidis, professeur de médecine à Stanford et grand critique des études sur l'alimentation, le problème est plus large : "la façon dont les épidémiologistes promeuvent avec ferveur l'existence de bons et mauvais aliments depuis des années nous a détournés de messages plus simples et plus importants, tels que la nécessité de manger avec modération et de ne pas devenir obèses."