Accouchement : un médicament fait polémique
L'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) met en garde les gynécologues obstétriciens contre une molécule utilisée pour déclencher artificiellement des accouchements. En effet, ce médicament, appelé Cytotec®, utilisé comme anti-ulcéreux, est détourné de son usage d'origine depuis plusieurs années. Or, des incidents graves ont été recensés.
Le Cytotec® (misoprostol) est bien connu de la profession des gynécologues obstétriciens. Il s'agit pourtant d'un médicament utilisé dans le traitement des ulcères. Et il a obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour cette indication, il y a maintenant 27 ans. L'histoire s'arrêterait là, si ce médicament n'avait pas un effet secondaire prisé par une tout autre profession. En effet, le Cytotec® est depuis plusieurs années détourné de son usage d'origine afin de déclencher un accouchement à partir de 37 semaines d’aménorrhée.
En 2008, la Haute Autorité de Santé (HAS) avait déjà alerté la profession sur les risques de cette utilisation hors AMM.
"Son utilisation dans cette indication doit être réservée à des essais randomisés de puissance suffisante pour en évaluer le ratio bénéfice/risque, notamment les déchirures utérines", détaille le communiqué de l'ANSM. La recherche n'a pas encore permis de conclure sur les conditions dans lesquelles il peut être utilisé de façon sûre. Or, des maternités l'utilisent pour déclencher des accouchements en fin de grossesse. C'est pourquoi, une nouvelle mise en garde vient d'être publiée par l'Agence du médicament.
Qui utilise le Cytotec® ?
Pour déclencher les accouchements, les maternités utilisent généralement des prostaglandines, qui sont elles, autorisées dans cette indication. "Le problème, explique le Dr Thierry Harvey, gynécologue obstétricien, c'est que ces prostaglandines sont très coûteuses. Alors que le Cytotec®, est une très bonne molécule, et au contraire bon marché". Il existe même une multitude d'articles prouvant l'efficacité du Cytotec® dans les déclenchements d'accouchements. Le Pr Christophe Veyssières, obstétricien au CHU de Toulouse, a participé à plusieurs d'entre elles : "en 2001, on a publié deux essais qui comparaient le Cytotec® à une prostaglandine de référence. Conclusion : le Cytotec® se révélait légèrement plus efficace, avec très peu d'effets secondaires".
Encore faut-il pouvoir l'administrer à la bonne dose. Et c'est là tout le problème. Le Cytotec® existe par comprimés de 200 micro-grammes. Or, pour un déclenchement d'accouchement, la dose conseillée est de 25 microgrammes. "Cela signifie que des maternités se retrouvent à couper le comprimé en huit petits bouts afin de parvenir à une dose de 25 micro-grammes. Ce qui n'est pas très efficace, puisque la répartition de la molécule au sein du comprimé n'est pas homogène. Il y a donc des risques de surdose", souligne ce chef de service à la maternité des Diaconesses à Paris.
Le Pr Veyssières, chef de la maternité au CHU de Toulouse, a lui réglé le problème. Il fait fabriquer des comprimés de 25 micro-grammes par un pharmacien. Pour lui, le Cytotec® ne présente pas plus de risques que n'importe quelle autre prostaglandine. S'il y a incertitude, c'est davantage sur la dose à prescrire. Une étude est en cours, en France, visant à déterminer la dose la plus efficace. Ce projet baptisé Cytopro, mené sur 1.200 patientes, consistera à tester un comprimé de Cytotec® de 25 micro-gramme toutes les 4 heures, versus une prostaglandine normale.
Des cas de rupture utérine ou d'hémorragies
L'ANSM rappelle que l'utilisation hors AMM d'un médicament peut avoir des conséquences graves. Et le Cytotec® n'échappe pas à cette règle. Des cas de rupture utérine, d'hémorragies ou d'anomalies du rythme cardiaque fœtal ont été recensés. Le Cytotec® est également utilisé dans le cadre d'une grossesse arrêtée, c'est-à-dire de fausse couche, et d'une interruption volontaire de grossesse (IVG). En octobre 2005, l'ANSM avait relayé des cas mortels survenus aux Etats-Unis : le comprimé avait été administré par voie vaginale et avait engendré le décès de la mère.
Mais pourquoi l'ANSM sort-elle aujourd'hui cette mise en garde, s'interrogent le les gynécologues obstétriciens, au travers d'un communiqué publié le 1er mars par le collège national de la profession (CNOGF). L’ANSM ne découvre pas les risques liés à l’usage du Cytotec. Cette réflexion remonte à 2006, précise le syndicat. "Il n’y a pas d’autre explication que celle de vouloir se couvrir de tout risque de mises en accusation comme cela avait été le cas à propos des pilules", affirment les auteurs d’un communiqué au ton acerbe. "Cette mise en garde enfonce des portes ouvertes : quel est le médicament qui, provoquant des contractions utérines dans le but de déclencher un accouchement n’augmente pas les risques de rutpture utérine, d’hémorragies ou d’anomalies du rythme cardiaque fœtal".
Le Cytotec® est également utilisé dans le cadre de grossesse arrêtée, c’est-à-dire de fausse-couche, et d’une interruption volontaire de grossesse (IVG). En octobre 2005, l’ANSM avait relayé des cas mortels survenus aux Etats-Unis. Le comprimé avait été administré par voie vaginale, et la mère avait succombé à une infection. "Mais aucune donnée n'a prouvé que le décès était lié à la prise de Cytotec®", souligne Christophe Veyssières. Pour cet expert, la littérature scientifique est si abondante sur le sujet qu'elle aurait apporté assez de preuves pour démontrer l'efficacité du médicament, qui "je le rappelle ne présente pas plus de risques que les molécules de référence".
Mais alors pourquoi le laboratoire Searl, aujourd'hui Pfizer, qui commercialise le Cytotec®, ne dépose pas un dossier pour demander une autorisation de mise sur le marché ? Le Pr Veyssières a sa petite idée, comme beaucoup d'autres de ses confrères : "Aux Etats-Unis, le laboratoire s'est fait prendre pour cible par le lobby anti-avortement qui lui reprochait de vouloir autoriser un médicament utilisé aussi pour les IVG".
Source : "Mise en garde sur les risques potentiels liés à l’utilisation hors AMM du Cytotec (misoprostol) dans le déclenchement de l’accouchement" - Point d'information, 24 février 2013, ANSM