Génocide rwandais : le traumatisme toujours vivace
Rwanda 1994-2014. Le "pays aux mille collines" se souvient. Ce lundi 7 avril 2014 marque les débuts des commémorations du génocide. De quoi raviver les souvenirs qui hantent encore le peuple rwandais. Vingt ans après, les blessures peinent à se refermer...
Entre avril et juillet 1994, 800.000 personnes, essentiellement issues de la minorité tutsi, ont été tuées en une centaine de jours par leurs voisins, collègues et parfois amis hutus.
Dans les mois qui suivirent le génocide, la priorité a surtout été donnée aux besoins d'urgence (abri, nourriture, soins aux blessés) puis peu à peu, la souffrance est revenue à la surface. Pour le Dr Gilbert Potier, directeur des opérations internationales pour Médecins du monde (voir la vidéo), c'est compréhensible. "A ce moment-là, dans certains villages, les génocidaires qui avaient quitté le pays sont revenus, côtoyant les familles des victimes, et des jeunes orphelins partis à la dérive se sont retrouvés en prison parfois dans les mêmes cellules que ceux qui avaient décimé leur famille."
Rwanda : prendre en charge la santé mentale
C'est à cette période-là que plusieurs ONG parmi lesquelles Handicap international ou Médecins du monde ont lancé les projets de santé mentale. "On a développé avec une association rwandaise, Ibuka, qui signifie souviens-toi en rwandais, une approche qui prend en charge les victimes pour elles-mêmes et non en tant que globalité dans la société", raconte le Dr Potier de Médecins du monde. Ces groupes de parole pour les personnes souffrant de stress post-traumatique, avaient pour objectif de surmonter les traumatismes et de recréer des liens.
Dans un entretien au Nouvel Observateur, le psychologue rwandais Augustin Nziguheba, fait part de son expérience: "Ils racontent peu à peu, pas à pas. Le choc a été tellement violent que cela ne peut pas être spontané. Les années qui ont suivi le génocide, leur vécu se manifestait par des pleurs, des gémissements, des colères, des tristesses, du mutisme, des flashbacks, des appels au secours. C'était un nuage qui couvrait la souffrance, mais ça parlait quand même. Et puis avec le temps, la sidération a été mise de côté et les personnes ont pu verbaliser et raconter ce qui leur était arrivé. (...) Le mot pour dire traumatisme dans les langues maternelles n'existait pas avant le génocide. Il a fallu forger des mots."
Vingt ans après le génocide : un traumatisme latent
Pourtant, vingt ans après, près de 28% des habitants souffrent encore de stress post-traumatique, 54% de dépression. Les cérémonies de commémoration actuelles ne vont-elles pas faire resurgir le traumatisme un peu plus ?
Pour s'y préparer, l'association Ibuka et Médecins du monde ont organisé il y a un mois un colloque sur le sujet. "On sait, explique le Dr Potier, que ce genre d'évènements est de nature soit à raviver les troubles chez certaines personnes qui se sentaient guéries, soit à révéler de nouveaux symptômes chez ceux qui n'ont jamais été pris en charge". Ainsi plusieurs personnes décompensent, c'est-à-dire qu'elles souffrent d'une perte de conscience pendant un temps, ne savent plus qui elles sont, ce qu'elles font.
Pourtant, les commémorations ont aussi un effet thérapeutique en ce sens qu'elles participent au travail de deuil collectif et au devoir, indispensable, de mémoire.