IVG : lettre du Dr Brival au futur président de la République
La santé est la préoccupation numéro 2 des Français, juste après l'emploi. Pourtant elle reste quasiment absente des programmes des candidats à l'élection présidentielle. La rédaction d'Allodocteurs.fr a demandé à plusieurs acteurs de la santé d'écrire une lettre au futur président de la République.
Madame, Monsieur le futur président de la République,
C’est dans un contexte de crise internationale majeure, économique et sociale, que vous briguez les plus hautes responsabilités. Une fois ce pouvoir entre vos mains, une fois que, par nos votes citoyens, vous serez assis sur ce siège présidentiel vous souviendrez-vous de vos promesses d’une société plus égalitaire ? Vous souviendrez-vous, par exemple, que les pauvres sont encore plus pauvres ? Vous souviendrez-vous que 27 % des Français ne se soignent plus faute de moyens ? Vous souviendrez-vous que parmi les pauvres, les femmes sont majoritaires ?
La crise économique mondiale, une crise sans précédent du capitalisme, a donné un formidable alibi pour mettre en place, un peu partout en Occident, en Europe en particulier, des politiques de restriction des dépenses publiques. Ces politiques d’austérité touchent tous les domaines y compris la santé publique. Cette dernière devrait être le dernier bastion à protéger puisqu’il détermine la vitalité et la force d’une société, d’une nation. Pourtant, notre système solidaire est atteint de plein fouet par les restrictions : privatisation de pans entiers de la médecine, tarification à l’activité des établissements de soins, franchises, droit à la santé des étrangers remis en cause, regroupements, restructurations, fermetures de services, fermetures d’hôpitaux et maternités de proximité, réduction de personnels. Ce fléau est source de stress et de souffrance au travail. Ce stress et cette souffrance touchent essentiellement les femmes, personnel très largement majoritaire dans le milieu de la santé.
Une médecine à deux vitesses se met en place dans le pays, malheur aux pauvres, malheur aux femmes ! L'humain n’est plus pris en compte dans cette politique comptable de la santé. Place à la standardisation, au modèle unique, à la rentabilité. La santé de tous est menacée, celle des femmes en particulier, comme à chaque fois dans les crises qu'elles soient économiques, religieuses ou guerrières.
D’une part, on assiste à une déshumanisation de la naissance au profit de la technicité et de la rentabilité. Or, la naissance d’un enfant est avant tout un acte affectif, social et culturel avant d’être un acte médico-technique. La qualité de l’accueil de la naissance et la parentalité qui en découle sont les bases sur lesquelles se construit une société.
D’autre part, dans cette refonte complète de notre système de santé, l’accès à l’IVG est pénalisé, ces difficultés sont notées partout sur le territoire. Dans le même temps, la crise favorise le repli sur soi et le retour du conservatisme et de l’ordre moral. Dans ce contexte, la maîtrise de la fécondité, levier essentiel de l’égalité des sexes, se trouve plus que jamais menacée.
En 2001, la loi de 1975 sur l’IVG a été réformée : allongement du délai d’accès à l’avortement, les mineures ont eu droit à la confidentialité, les contraintes pour les étrangères ont été abrogées. Surtout, avec cette loi unique sur la contraception et l’avortement, la voie a été ouverte pour une formidable révolution culturelle car les deux moyens de maîtrise de la fécondité d’une femme ont été, pour la première fois, également reconnus.
Malheureusement cette loi n’est pas appliquée ou de façon très aléatoire et inégalitaire sur l’ensemble du territoire. L’éducation à la sexualité et à la vie n’est pas prise en compte dans l’éducation de nos enfants, le refus de prise en charge des interruptions de grossesse au-delà de 10 semaines, le non-respect de la confidentialité pour les mineures, l’absence de choix de la méthode, le désengagement du service public dans la prise en charge de cet acte peu rentable, le détournement de l’IVG médicamenteuse, le non-respect du choix des femmes quant à la méthode, l’accès à la contraception définitive limité par une circulaire de la CNAM de 2010 pour les femmes de moins de 40 ans, le non remboursement de toutes les contraceptions sont les exemples les plus flagrants. Pourquoi tant de dérives ? L’absence de sanctions pour les établissements et les médecins hors la loi, l’exercice abusif de la clause de conscience qui autorise un médecin à refuser une IVG alors qu’il en va de la santé de la femme au sens du bien être social, psychologique et physique, sont déterminants.
Partout à travers le monde on assiste au recul du droit à disposer de son corps. Aux USA le lobby anti-IVG est puissant et sous leur pression des lois sont votées, états par états, pour empêcher aux femmes d’exercer leurs droits. Dans plusieurs pays d’Europe, le recul des droits des femmes que l’on croyait définitivement acquis, conduit à des situations intolérables de misère, de détresse, d’oppression et de mise en danger de leur santé.
L’égalité femmes/hommes passe nécessairement par la défense du droit fondamental des femmes à décider de poursuivre ou non une grossesse, il en va de leur santé. L’avenir d’une nation passe par la santé des femmes. Ne laissez pas bafouer une loi juste, donnez aux femmes de ce pays tous leurs droits. Ne laissez aucune place à la régression et à l’ordre moral face aux droits fondamentaux et à la santé des femmes. Mesdames, Messieurs les candidats, puissiez-vous ne pas oublier vos promesses !
Dr Marie-laure Brival, chef de service à la maternité des Lilas