Sevrage tabagique : pour une évaluation rigoureuse de la cytisine
Des études récentes suggèrent que la cytisine, alcaloïde couramment utilisé dans certains pays de l'Est pour aider au sevrage tabagique, pourrait avoir une efficacité comparable à celle des substituts commercialisés en France. Faute d'évaluations plus rigoureuses, ce traitement peu coûteux ne peut cependant pas bénéficier d'une autorisation de mise sur le marché.
La cytisine est une substance extraite de certains genêts communs, découverte au début du XIXème siècle. Ayant certaines propriétés biologiques analogues à celles de la nicotine, elle fut utilisée durant la Seconde Guerre mondiale, en Allemagne et dans les pays de l'Est, comme un ersatz du tabac.
Depuis le milieu des années 1960, cet alcaloïde est proposé en Bulgarie et en Pologne comme aide au sevrage tabagique. Si des études de toxicité poussées ont été effectuées durant les années 1970, peu de travaux rigoureux permettaient de conclure à l'efficacité de la cytisine pour aider à l'arrêt du tabac.
Peu après la chute du mur de Berlin, ce médicament "de l'Est" éveille l'intérêt de quelques chercheurs français, britanniques et nord-américains. De petites études sont alors menées, qui suggèrent que la cytisine pourrait effectivement aider au sevrage.
Ses mécanismes d'actions se rapprochent de ceux de la varénicline (commercialisée par Pfizer sour le nom de Champix®). Peu de laboratoires se sont pourtant intéressés à cette vieille molécule.
Peu d'études rigoureuses sur l'innocuité de cette molécule bicentenaire
En 2012, puis 2013, une revue critique de la littérature scientifique concluait que "les données actuelles, limitées, montrent une efficacité modeste". C'est précisément devant ce manque de recherches sérieusement menées que la Haute Autorité de Santé (HAS) jugeait, début 2014, qu'il n'existait pas "de preuve d'un rapport bénéfice/risque favorable de la cytisine dans l'aide à l'arrêt du tabac". La substance ne possède, de fait, toujours pas d'autorisation de mise sur le marché français.
Toutefois, les travaux de synthèse sur lesquels la HAS fondait son avis n'étaient pas exhaustifs, et d'autres méta-analyses sérieuses invitent à prêter plus d'attention à la cytisine.
Comparer cytisine, nicotine et varénicline
Mi-décembre, le New England Journal of Medicine a publié une étude néo-zélandaise portant sur 1.310 candidats au sevrage, ayant reçu un traitement gratuit à base de cytisine, ou un traitement classique à prix réduit (patchs, gommes, etc.). A une semaine, deux mois ou six mois, le taux de patients déclarant avoir cessé de fumer était significativement supérieur dans le groupe sous cytisine, comparé au second groupe.
L'évaluation statistique suggère que le taux d'abstinence serait de 4 à 14 points supérieur sous cytisine, par rapport à la substitution nicotinique.
Le fait que le premier traitement ait été prodigué gratuitement pourrait constituer un biais dans l'analyse des données(1). Toutefois, les auteurs de l'étude notent que des travaux précédents ont été réalisés, avec des résultats analogues, en offrant la gratuité totale des substituts nicotiniques. Un autre fait atténue en outre cette limitation de l'étude : le traitement à base de cytisine est beaucoup moins coûteux que les autres – de 4 à 20 fois moins cher, pour une durée de traitement au moins deux fois inférieure, qu'il s'agisse de substitut nicotinique ou de varénicline.
Au chapitre des effets secondaires, la cytisine semble entraîner dans environ 5% des cas – comme la varénicline – des nausées et des vomissements, ainsi que des troubles du sommeil. Les importants troubles de l'humeur rapportés avec la prise de varénicline n'ont, jusqu'à présent, pas été détectés dans les études sous cytisine.
Une évaluation scientifique d'intérêt public ?
L'étude néo-zélandaise abonde dans le sens d'un effet chimique propre à cet alcaloïde. Mais aucune étude en double-aveugle, avec une évaluation stricte du sevrage, ne confirme encore que son rapport bénéfice/risque soit bel et bien supérieur à celui de la varénicline.
Si ce fait venait à être démontré, le faible coût de la molécule permettrait de rendre accessible le sevrage au plus grand nombre, tout en soulageant la sécurité sociale.
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(1) De même que le fait que l'étude n'ait pas été menée en double-aveugle. Les chercheurs n'écartent pas qu'un préjugé favorable de certains participants en faveur de la cytisine n'ait biaisé les résultats.
Source : Cytisine versus Nicotine for Smoking Cessation, C. Bullen et coll. NEJM, 18 déc. 2014 doi:10.1056/NEJMoa1407764