Tabac Info Service : polémique autour d'un nouveau prestataire
A partir du 17 juillet 2012, l'Office français de prévention de tabagisme (OFT) se voit remplacé par une société privée, Direct Medica, pour conseiller et orienter les personnes appelant le 39 89, le numéro de Tabac Info Service. L'OFT et certains tabacologues dénoncent des conflits d'intérêts non déclarés de la part de la société et l'accusent d'incompétence. Direct Medica et l'INPES se défendent de toutes irrégularités. L'OFT, qui a saisi la justice, a été débouté deux fois en référé.
"Allô, Tabac Info Service !". Comme tous les jours, les "écoutants" de la ligne de service public de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) dédiée à l'aide au sevrage tabagique vont recevoir les nombreux appels de fumeurs en quête de conseils pour arrêter de fumer. A la différence près, qu'aujourd'hui, ce ne sont plus les tabacologues de l'OFT, mais ceux de Direct Medica, entreprise privée dont une partie des activités concerne la vente de médicaments, qui décrocheront le combiné.
La ligne Tabac Info Service appartient à l'INPES, établissement public à caractère administratif, depuis 1998. Pour son fonctionnement, l'Institut s'appuie depuis 2003 sur deux prestataires, sélectionnés par une procédure de marché public. L'un assure le premier niveau de réponse de la ligne, l'autre le second. C'est à ce second niveau que des tabacologues assurent la prise en charge des appelants. Depuis 2003, l'OFT assurait cette prise en charge. Mais ce marché arrivant à terme en 2012, il a fait l'objet d'une procédure de renouvellement, suite à laquelle Direct Medica a été préféré à l'OFT par l'INPES. La "passation de fonctions" ne fait pas dans la sérénité. L'OFT accuse la société Direct Medica de conflits d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique et lui reproche son absence de compétences en matière de tabacologie.
Direct Medica, c'est quoi ?
"Direct Medica élabore et met en place des solutions opérationnelles novatrices pour optimiser les relations entre professionnels de santé, patients, industriels, établissements hospitaliers et payeurs", peut-on lire sur la page d'accueil de la nouvelle société prestataire. Difficile, à première vue de cerner ses activités. "Direct Medica a un rôle de sous-traitant auprès des laboratoires pharmaceutiques en ce qui concerne les prises de commande. En clair, des laboratoires nous demandent de constituer des équipes, qui appellent les pharmaciens d'officine pour leur proposer d'acheter des produits", explique le Dr Jérôme Stevens, co-fondateur et directeur de l'entreprise.
Mais Direct Medica revendique également une mission de santé publique. "Parallèlement à nos activités commerciales, nous élaborons des "projets patients", des outils de sensibilisation pour les pharmaciens. Des plaquettes informatives sur les méfaits du tabac, par exemple" continue-t-il.
Conflits d'intérêt ?
Le Dr Jérôme Stevens estime injuste le procès qui lui est fait. "Je trouve cette polémique autour de notre travail avec Tabac Info Service incroyable. Les médecins de l'OFT déclarent eux-mêmes des conflits d'intérêts avec les laboratoires. Comment peut-on nous reprocher un conflit d'intérêts alors que nous n'établissons aucune prescription et ne prodiguons aucune recommandation envers tel ou tel produit ?", s'agace le médecin. "Les tabacologues de Direct Medica vont dès aujourd'hui remplir leur mission de service public. Ils ne citeront évidemment aucun nom de médicaments, c'est strictement interdit par la loi", tient-il à rappeler. "Et jamais aucun tabacologue ne sera mis en contact avec un industriel." Jérôme Stevens déplore le tumulte médiatique qui entoure les nouvelles activités de sa société. "En attendant, la polémique noie littéralement le travail que nous avons accompli."
Pour Joseph Osman, tabacologue et directeur général de l'OFT, raisonner de la sorte n'est qu'une façon habile de déplacer le problème. "Je n'ai jamais pensé ou laissé penser que les tabacologues qui travaillent pour Direct Medica ou la société elle-même étaient malhonnêtes. Avoir des conflits d'intérêts n'est pas critiquable en soi. Beaucoup d'entre nous en ont. Mais les transgresser, si. L'INPES aurait dû obliger la société à déclarer ses conflits d'intérêts, qui sont très puissants. Nous, nous ne vendons pas de médicaments, cela n'est pas du tout comparable."
Une procédure respectée, pour l'Inpes
Du côté de l'INPES, la polémique est aussi assez peu appréciée. "Chaque offre a été analysée par la commission d'expertise des missions, sur plusieurs critères. En premier lieu, des critères de qualité : capacités d'organisation, qualité du service rendu, etc.", argumente Thanh Le Luong, directrice générale de l'INPES. Le critère financier, bien sûr, a pesé dans la balance, pour l'Institut. "Nous gérons de l'argent public. A ce titre, nous nous devons d'offrir la meilleure qualité de service, au moindre coût. Mais en aucun cas, l'argument financier n'a dominé dans notre décision de choisir Direct Medica comme prestataire de notre ligne".
Pour Thanh Le Luong, rien ne va changer dans la prise en charge des personnes. "Nous sommes garants de la nature et de la qualité du service proposé aux appelants." Les attaques de l'OFT agacent. "Il s'agit d'une réaction de dépit, suite à la perte du marché. Ce qui peut se comprendre. Cependant, les arguments qu'ils avancent sont mensongers. Ils font des procès d'intention et portent préjudice à la ligne."
L'INPES tient d'ailleurs à rappeler que l'OFT a perdu deux fois en référé. Un état de fait qui ne décourage pas Joseph Osman. "Seule la forme peut être prise en compte par le juge en référé. Il n'a constaté aucune irrégularité dans l'appel d'offre. Mais tous les éléments périphériques, c'est-à-dire ce que nous considérons comme des abus, n'ont pas pu être pris en compte. Pour cette raison, nous allons aller devant le tribunal administratif et correctionnel pour une analyse en profondeur de la situation."
Des experts tabacologues inquiets
Mais les attaques ne proviennent pas uniquement de l'association "malheureuse". Certains tabacologues de l'OFT se montrent très préoccupés. C'est le cas du Dr Marion Adler, qui juge Direct Medica illégitime dans son nouveau rôle. "Ce n'est pas rien, la tabacologie. Il s'agit d'aider des gens en proie à une très forte addiction à des substances extrêmement nocives. Pour les aider, il faut avoir une vraie expertise et donc une véritable expérience de la consultation. Et par consultation, j'entends consultation "physique", en face à face, avec toutes les notions de psychologie que cela implique."
De plus, Direct Medica n'a pour elle qu'une compétence de "plate-forme téléphonique". "Une des activités de cette société consiste à travailler pour des laboratoires en appelant les gens à domicile pour s'assurer qu'il suivent correctement leur traitement. Une manière, en effet, de faire de l'"éducation thérapeutique". Mais aussi un moyen de vendre des médicaments", déclare-t-elle.
La tabacologue pointe aussi du doigt le manque de préparation de la nouvelle équipe. "Nous savons bien que les nouveaux responsables cherchent encore des tabacologues." Ce que souligne aussi Joseph Osman : "Le directeur de Direct Medica m'a contacté quand il a appris qu'il avait remporté le marché. Il n'y avait pas de tabacologue chez eux avant cela."
"Je me demande quelles influences a pu subir l'INPES pour que nous nous trouvions dans un tel cas de figure", conclut le Dr Adler. Des interrogations que partage le directeur général de l'OFT, Joseph Osman : "quelle raison a bien pu pousser l'INPES à choisir une équipe "fantôme", au détriment d'une équipe active depuis 10 ans ?"