Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa : la propagande avant l'heure
"Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa" est un tableau d'Antoine-Jean Gros. Il met en scène le futur Empereur bravant le danger pour soutenir ses soldats frappés par une épidémie de peste bubonique. Décryptage de ce chef d'oeuvre de la peinture.
La peste, un mot qui provoque à lui seul la peur et l'effroi. Mais pas chez tout le monde comme en témoigne un des chefs d'oeuvre de la peinture : "Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa".
Dans cette peinture d'Antoine-Jean Gros, le futur Empereur encourage ses soldats frappés par une épidémie de peste bubonique. Une prise de risque pour Napoléon.
Napoléon face à la peste bubonique
Napoléon posant la main sur le corps d'un pestiféré, l'image est forte, choquante et c'est bien le but. Car derrière le tableau se cache la propagande du futur Empereur. Bonaparte commande en effet ce tableau à Antoine-Jean Gros. La scène se déroule à Jaffa lors d'une campagne militaire particulièrement difficile, à laquelle s'ajoute un autre ennemi mortel : la peste.
La première chose qui saute aux yeux est le réalisme avec lequel les pestiférés sont représentés à différents stades de la maladie. Certains sont agités, d'autres à l'agonie ou encore délirants, fiévreux. L'artiste connaît bien ces symptômes car il les a vus sur ses contemporains. Antoine-Jean Gros aurait aussi fait des recherches médicales dans le rapport du célèbre chirurgien de Napoléon : Dominique-Jean Larrey. Et les informations médicales ne manquent pas dans ce tableau. On voit par exemple la manière dont les médecins incisaient les poumons. Depuis le Moyen-Âge, on espérait ainsi guérir les malades alors qu'en réalité, on les affaiblissait.
Une oeuvre de propagande
Face à la souffrance de ces hommes, Napoléon est en pleine lumière. De sa main dégantée, il touche la tumeur d'un malade. Un geste fou comme le souligne la réaction de ses voisins. L'officier à côté de Bonaparte se bouche le nez avec un mouchoir et un autre veut l'arrêter dans son geste. Car à l'époque, on ne sait ni soigner la peste, ni même comment elle se transmet. Le futur empereur a-t-il vraiment fait ce geste auprès de ses soldats malades ? Le doute plane mais le symbole compte.
En montrant cette action, le peintre inscrit Bonaparte dans une lignée prestigieuse. Le Christ d'abord guérissant les lépreux dans la peinture religieuse. Et les rois de France qui touchaient les plaies de chaque malade en traçant le signe de croix et prononçaient une formule rituelle : "Le roi te touche, Dieu te guérit". En s'attribuant ce geste, Napoléon Bonaparte se pose tout simplement en guérisseur de la France.
Car après cette campagne, Napoléon a besoin de redorer son blason. La presse anglaise l'accuse en effet, à juste titre, d'avoir empoisonné des soldats malades. Avant de quitter Jaffa, Bonaparte a ordonné à ses médecins d'achever les malades avec des doses mortelles d'opium. Malheureusement pour lui, certains soldats ont survécu et lorsque les Anglais sont arrivés, ils ont tout raconté. Il fallait donc au moins ce geste fort, cette attitude bienveillante et héroïque face à la mort pour reconquérir le coeur des Français et devenir quelques années plus tard, l'Empereur que l'on connaît.