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Les chimpanzés eux aussi victimes des pesticides

Si rien n'est fait, les plus proches cousins de l'homme pourraient bien disparaître d'ici trente ans, selon Sabrina Krief, vétérinaire et primatologue française. 

Farah Kesri
Rédigé le , mis à jour le
Chronique de Farah Kesri, vétérinaire éthologue, du 18 juin 2018

À la déforestation et au braconnage s'ajoute aujourd'hui une nouvelle menace pour les grands singes : les pesticides. Sabrina Krief multiplie les actions pour sensibiliser les pouvoirs publics et les citoyens à ce phénomène très alarmant. En avril 2018, elle a notamment lancé un plan d'action pour lutter contre l'extinction des grands singes, entourée de personnalités comme Nathalie Baye et Laurence Parisot. Pour elle, il a urgence !

Des anomalies au niveau des membres et de la face

Elle suit depuis dix ans un groupe de chimpanzés qui vit dans le parc national de Kibalé en Ouganda. Et depuis quelques années, elle observe des anomalies au niveau des membres et de la face chez les chimpanzés qui vivent dans une zone du parc qu'on appelle sébitoli.

Au départ, Sabrina Krief observait surtout des anomalies au niveau des membres. Puis, elle a découvert d'autres anomalies. Seize jeunes chimpanzés sur les 66 contrôlés (soit 25% du groupe) présentaient des malformations au niveau de la face (fente labiale, narines réduites complètement enfoncées...). Ce sont des signes de dysplasie faciale. Ces anomalies ne sont pas dues à des pièges, il s'agit d'anomalies de développement qui jusqu'à présent, n'avaient jamais été relatées ailleurs en Afrique.

Les pesticides mis en cause

Sabrina Krief a donc mené une enquête pour connaître la cause de ces anomalies. Avec toute une équipe, elle a d'abord réalisé une enquête sur l'environnement des chimpanzés. La zone dans laquelle vivent ces chimpanzés est à l'interface de constructions humaines, en lisière de sébitoli. Il y a des cultures de thé et d'eucalyptus mais aussi des cultures de maïs et plusieurs habitations avec des jardins où chaque Ougandais a sa propre culture vivrière, et fait pousser de quoi se nourrir. Et malheureusement, la plupart des habitants utilisent des pesticides dont ils ne connaissent pas le type, ni à quelle dose il faut les utiliser.

La vétérinaire et primatologue va également découvrir que les graines vendues pour les plants de maïs sont enrobées d'une pellicule rouge. Après analyse, Sabrina Krief découvrira qu'il s'agit du néonicotinoïde, le même pesticide qui décime les abeilles et qui est un perturbateur endocrinien. Des analyses ont aussi montré que la terre et l'eau étaient non seulement contaminées mais qu'il n'y avait pas un, mais huit pesticides dans l'environnement des chimpanzés.

Des caméras pour observer les habitudes alimentaires des chimpanzés

Pour confirmer que ces pesticides étaient responsables des anomalies observées sur les chimpanzés, avec son mari photographe, Sabrina Krief a placé des caméras traps dans les champs. Elle a ainsi pu constater que les chimpanzés de Sébitoli avaient changé leurs habitudes alimentaires et leurs comportements. Au lieu de s'endormir à la tombée de la nuit, certains chimpanzés allaient voler du maïs dans les jardins et les champs des Ougandais avoisinants. Ils mangeaient le maïs enrobé de pesticides. Pour être sûr de l'effet des pesticides, Sabrina Krief a travaillé avec une autre chercheuse, Barbara Demeneix lanceuse d'alerte sur l'effet cocktail des pesticides en tant que perturbateur du fonctionnement et du développement du cerveau.

La chercheuse a placé des têtards dans l'eau que Sabrina Krief a ramené d'Ouganda et après un certains temps, les têtards ont présenté des signes d'atteintes au niveau du cerveau. Le cycle reproductif était aussi atteint, les spermatozoïdes étaient altérés et les femelles chimpanzé gestante et contaminées par les pesticides, notamment durant les trois premiers mois de gestation, donnaient naissance à des petits qui présentaient des malformations de la face, avec une chute de la fertilité qui pourrait avoir pour conséquence d'accélérer l'extinction des chimpanzés.

Les populations locales aussi exposées

Comme le maïs, l'eau et la terre sont contaminés, Sabrina Krief craint que différentes espèces de la faune et de la flore soient atteintes. Des babouins présentent d'ailleurs ce type d'anomalies. Concernant la population locale, les équipes ougandaises de Sébitoli formées par Sabrina Krief tentent d'informer la population des risques afin qu'ils arrêtent d'utiliser ces produits. Elle espère même les aider à réaliser une transition de leur mode de culture et les orienter vers une culture bio sans pesticides.

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