Sexualité des animaux : se reproduire... et mourir
Dans le règne animal, la sexualité n'est pas toujours tendre. Se reproduire peut être un enjeu vital et les sacrifices nombreux. Chez certaines espèces, on parle même de reproduction suicidaire. Les explications avec Farah Kesri, vétérinaire éthologue.
La reproduction suicidaire est un comportement qui paraît assez étrange quand on l'observe d'un point de vue humain. Elle concerne des espèces dites semelpares. Ces espèces ne se reproduisent qu'une fois au cours de leur vie, contrairement aux itéropares qui se reproduisent plusieurs fois. Les semelpares sont souvent des insectes, par exemple les éphémères et les abeilles mâles. Il y a aussi quelques espèces de calamars et des saumons d'Atlantique.
Ces espèces pratiquent une reproduction dite suicidaire parce que la plupart du temps, les individus de ces espèces meurent après l'acte de reproduction. Chez les abeilles mâles, leurs gonades explosent après la fécondation. Chez les mammifères, il existe un rare exemple avec les souris marsupiales. Le mâle meurt d'épuisement après avoir copulé 14 heures durant, avec plusieurs femelles.
Chez les araignées, la femelle dévore le mâle !
Chez les araignées, la mort est plus cruelle puisque la femelle dévore le mâle. C'est le cas de plusieurs espèces d'araignées et pas seulement la veuve noire. Dans un couple d'argiopes, il y a une différence de taille : la femelle fait au moins trois fois la taille du mâle. C'est lui qui se dirige vers la femelle qui attend sur sa toile. Son approche peut durer plusieurs heures. Au moindre faux pas, il peut se faire dévorer par la femelle. Chez certaines espèces comme celle-ci, le mâle renifle d'abord la femelle grâce à ses pédipalpes, ces pattes avant, cela lui permet de savoir si la femelle est disponible pour une fécondation ou si elle est déjà pleine.
Il s'assure une voie de sortie en coupant quelques fils de la toile pour avoir une issue de secours. Une fois que c'est fait, il revient vers la femelle qui s'est mise sur le dos les pattes entrouvertes pour laisser l'accès à sa spermathèque, c'est le réservoir de la femelle pour stocker les spermatozoïdes du mâle. Mais malgré les précautions du mâle, étant donné que le dépôt de semence se fait par ses bulbes copulateurs qui sont au niveau de sa tête, la position est très risquée. La preuve, dès qu'il a déposé sa semence, il est emprisonné par la femelle qui tisse rapidement une toile autour de son corps. Elle le mangera plus tard, quand il sera plus digeste.
Peut-on parler de suicide ?
On ne peut pas vraiment parler de suicide puisque chez plusieurs espèces d'araignées, on constate que le mâle tente de se protéger, ou prévoit une issue de secours pour éventuellement s'échapper. Il a une chance sur deux de rester en vie. Mais chez d'autres espèces comme les mantes religieuses, c'est moins évident. Le mâle est plus petit que la femelle, il se place sur le dos de sa partenaire, c'est moins dangereux puisqu'en théorie c'est loin de ses pinces et de sa bouche. Les organes génitaux sont au niveau de la partie basse de l'abdomen.
Parfois la copulation se déroule sans risque. Le mâle peut même s'en tirer, si la femelle est en plus occupée à manger autre chose. Mais parfois, la femelle prend le dessus et parvient à attraper le mâle. On pourrait croire que c'est un baiser mais en fait elle lui dévore la tête avec ses mâchoires broyeuses. Le plus curieux étant que le mâle ne se défend pas. Son corps poursuit l'acte de copulation. Il reste accroché à la femelle alors qu'il n'a plus de tête, comme un acte mécanique pré-enregistré. Au bout d'un certain temps, il se détache et retombe sans vie.
Pourquoi un tel comportement de sacrifice ?
Il y a différentes hypothèses selon les espèces. Les biologistes ont remarqué qu'il y avait des points communs chez les semelpares. Leur période de reproduction est limitée dans le temps, la durée de vie de ces espèces est plus courte. Ils ont une quantité d'énergie limitée, ils concentrent donc toute cette énergie à se reproduire, au détriment des autres fonctions et meurent parfois d'épuisement. Ils s'assurent une descendance en copulant jusqu'à en perdre la vie.
Chez les araignées et les mantes religieuses, le "sacrifice" du mâle permettrait d'immobiliser l'attention de la femelle un certain temps pour que le sperme puisse continuer sa progression et que le mâle s'assure de la transmission de ces gènes. Chez tous les semelpares, cela permettrait aussi d'avoir une plus grande disponibilité des ressources alimentaires pour les femelles et les petits. Chez les saumons de l'Atlantique une fois la descendance assurée, les cellules des deux parents se suicident, il y a un processus d'apoptose. C'est une mort cellulaire programmée qui servira à nourrir les petits saumons.
Pour les semelpares, la fonction de reproduction est plus importante que le fait de rester en vie. Ce n'est pas un choix conscient mais seulement un constat biologique. Et à l'échelle de l'évolution, si on cumule les raisons évoquées et qu'on observe si c'est une stratégie efficace, on se rend compte que les semelpares ont plus de plus de descendances que les itéropares. Autrement dit, le sacrifice a bien une valeur reproductive.