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Essais nucléaires : la population de Polynésie française mise en danger ?

Vingt-cinq ans après la fin des essais nucléaires menés par l’armée française en Polynésie française, les habitants, les vétérans et l’environnement ont-ils été empoisonnés ?  

Auriane Loizeau
Rédigé le

Tout se passe en Polynésie française, un ensemble d’atolls loin de la métropole, au milieu du Pacifique sud, au niveau des atolls de Moruroa et de Fangataufa.  

La première bombe atomique explose le 2 juillet 1966. A partir de cette date, l’Armée française réalise près de 46 essais nucléaires à l’air libre entre 1966 et 1974. Encore aujourd’hui, la population et les militaires présents lors de ces essais craignent d’en subir les conséquences, faute de protections suffisantes.

Des militaires sans protections

C’est le cas de Jean-Pierre Biard, qui a passé un an en Polynésie en 1968. A l’époque il avait 19 ans et était cuisinier à bord d’un navire, puis sur l’atoll-même de Moruroa. Il a assisté à cinq tirs nucléaires, il a même pu prendre quelques photos.  

"On allait à 35-40 km en pleine mer et on attendait le moment du tir, relate Jean-Pierre Biard. On sortait de la cuisine avec le tablier, on montait sur le pont on n’avait pas de lunettes, pas de combinaison spéciale rien, au moment du tir on avait un flash énorme, on avait les yeux fermés dans le creux du bras, retournés si la bombe pétait derrière, on était comme ça, c’est la seule protection qu’on avait on était en short en tong et voilà".   

Essais nucléaires et cancer 

Depuis son retour en France, Jean-Pierre a développé un asthme sévère et un cancer du poumon. Il peut être jusqu’à 16h par jour sous oxygène. Il a développé des tumeurs au rein et au côlon... Pour lui, tout ceci est lié à son exposition aux radiations et c’est une crainte que partagent de nombreux vétérans et Polynésiens. 

Indemnisations des populations   

En 2010, la loi Morin crée une indemnisation pour les vétérans et les Polynésiens qui seraient tombés malades à cause des essais nucléaires. Ils doivent faire une demande auprès du CIVEN, le Comité d’Indemnisation des Essais Nucléaires. Le CIVEN vérifie si plusieurs conditions sont remplies  :

Jean-Pierre a fait une demande en 2015, en 2018 il a reçu la réponse et un refus d'indemnisation : "Il en résulte que vous n’avez pas été exposé aux rayonnements ionisants dûs aux essais nucléaires français. Après en avoir délibéré, nous décidons de rejeter votre demande d’indemnisation."

Parmi les raisons du rejet, le CIVEN invoque le fait que Jean-Pierre était cuisinier, qu’il avait eu des consignes le protégeant comme l’interdiction de consommer l'eau ou le poisson du site. Il a décidé de faire appel. Il n’est pas seul  dans ce cas : 80% des demandes ont été refusées en dix ans. 

Cette situation est dénoncée par les associations, elle a aussi intéressé un journaliste Tomas Statius, co-auteur du livre Toxique, paru il y a quinze jours.   

"Toxique", un livre choc !

Tomas Statius et le chercheur Sébastien Philippe ont exploité 2 000 pages de documents déclassifiés par l’Armée en 2013. Des centaines d'heures de calculs leur ont permis de modéliser les essais, comme lors de l’essai Centaure, et le nuage atomique qui a touché Tahiti… Ils ont aussi refait leurs propres calculs à partir des niveaux de radiations mesurés à l’époque.  

"Ce qu’on s’est attachés à faire, avec mon co-auteur Sébastien Philippe chercheur à Université de Princeton, explique Tomas Statius, c’est qu’on a essayé de réestimer les doses de contamination qu’avaient reçues notamment les populations civiles au cours de six essais en particulier, jugés les plus contaminants. Ce dont on s’est rendu compte, c’est qu’entre les estimations du Commissariat à l’énergie atomique en 2006 et les nôtres il y a une différence de l’ordre 2 à 10 fois. Ils ont donc été exposés à des doses supérieures à ce que le CIVEN veut bien reconnaître".    

Les effets  de ces radiations sur la santé

Les populations auraient donc reçu de plus fortes doses. Des chercheurs de l’Inserm ont mené une expertise collective à la demande du Ministère des Armées.  

Ils ont rendu leurs conclusions en février  dernier ,et pour eux, il est impossible d’établir ni d’écarter un lien entre les essais nucléaires et certaines pathologies, faute de données. Ils recommandent donc de poursuivre la recherche, de mieux mesurer les doses reçues et de mieux évaluer leur effet sur la santé.   

Tout le monde s'accorde pour dire qu'il n’y a pas de seuil, c’est-à-dire que toute dose même faible augmente le risque de cancer, mais que cette augmentation est faible. Pour la Polynésie, pour l’instant, pour ce qui est du cancer de la thyroïde, c’est quelques dizaines de cancers en plus, et pour l’ensemble des autres cancers, cela serait également quelques cancers supplémentaires.   

Ce chercheur travaille désormais lui aussi avec les documents déclassifiés par l’armée. Il faudrait encore d’autres études pour atteindre un niveau de preuve suffisant. Tout ceci ne remet pas en cause le système d’indemnisation mis en place par l’Etat, il s’agit de mieux comprendre effets sanitaires. 

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