Compteur Linky et électrosensibilité : une décision de justice sans preuves scientifiques
Des opposants au compteur Linky déclarés électrohypersensibles ont obtenu le droit de refuser son installation pour raison médicale. Une décision inédite qui ne s’appuie pourtant sur aucune preuve scientifique reconnue.
Une victoire pour les anti-Linky ? Le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Toulouse a ordonné à Enédis lundi 18 mars 2019 de ne pas installer de compteur électrique Linky dans les foyers de 13 plaignants dits électrohypersensibles (EHS) et résidant en Haute-Garonne, rapporte le 19 mars La Dépêche du Midi.
"Depuis le mois de novembre 2018, une vingtaine de procédures ont été lancées pour 5.000 personnes à travers toute la France dans une action collective conjointe" détaille Maître Christophe Lèguevaques, l’avocat toulousain qui a représenté les plaignants. Quelques mois plus tard seulement, procédure d’urgence oblige, le jugement est rendu. "Ces personnes ne pouvaient pas rester chez elles depuis l’installation de compteurs Linky à courant de haute fréquence ou craignaient cette installation en raison d’un historique médical d’EHS", selon Me Lèguevaques.
Pas d’outils de diagnostic reconnus
Les symptômes communs à toutes ces personnes comprennent des vertiges, des maux de tête et des paresthésies mais l’électrohypersensibilité reste un sujet controversé : "Aujourd’hui, en l’état actuel des connaissances, l’EHS n’est pas considérée dans le système médical comme une maladie donnant droit à une prise en charge et il n’existe pas d’outils de diagnostic reconnus" explique Olivier Merckel, chef de l’unité d’évaluation des risques aux agents physiques à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Sans outil de diagnostic, l’EHS ne repose aujourd’hui que sur l’auto-déclaration : "l'EHS est définie par le fait que les personnes elles-mêmes attribuent leurs symptômes à leur exposition aux ondes" observe Olivier Merckel. Dans le cas du procès de Toulouse, "différents médecins sont intervenus pour attester des symptômes des plaignants" précise Maître Arnaud Durand, l’associé de Me Lèguevaques. Les certificats qu’ils ont émis se sont appuyés sur "des troubles subjectifs mesurables tels que la tachycardie". L’avocat rapporte également que "des analyses de sang permettant de détecter certains marqueurs inflammatoires liés à l’exposition aux ondes et des imageries médicales de la barrière hémato-encéphalique, une zone altérée pendant une exposition qui se régénère après un sevrage, ont été menées".
"Les personnes qui vivent ces symptômes ont besoin de solutions"
Quelle est la valeur scientifique de ces tests ? "Lors de l’élaboration de son rapport paru en mars 2018, l’Anses a eu écho d’un certain nombre d’examens utilisés pour évaluer une EHS" révèle Olivier Merckel. "Mais ces tests ne reposent pas sur des données scientifiques validées. Aujourd’hui, il n’existe pas de test biologique ou comportemental au fondement médical sérieux" ajoute le spécialiste.
Par ailleurs, "aucun lien de causalité entre les symptômes des EHS et leur exposition aux ondes n’a pour le moment pu être établi", poursuit Olivier Merckel. Mais même si les risques sanitaires des ondes électromagnétiques et du compteur Linky ne sont pas reconnus, les avocats des plaignants ont "demandé à la justice de protéger ces personnes et c’est bien ce qui a été fait" se félicite Me Durand. "Il existe des fortes suspicions sur ces agents physiques, c’est donc à l’industriel de prouver que ce n’est pas dangereux" ajoute l’avocat. Dans cette affaire, "Enédis a apporté l’argument qu’il n’y avait pas de preuve du lien de cause à effet entre les ondes électromagnétiques et les symptômes ressentis. Ce à quoi nous avons apporté la correction suivante : l’Anses ne reconnaît pas encore de preuve solide du lien de cause à effet. Appliquons alors un principe de précaution." poursuit Me Durand.
Olivier Merckel à l’Anses reconnaît que la situation appelle des mesures : "Même si le lien de causalité n’est pas prouvé, nous sommes obligés de constater que le problème existe. Les personnes qui perçoivent et vivent ces symptômes ont besoin de solutions et de prises en charge."
A la suite du verdict, Enédis a annoncé faire appel de ce jugement. Par ailleurs, 216 plaignants ont de leur côté été déboutés : "ces plaignants n’étaient pas des personnes électrohypersensibles. Leur action en justice est motivée par une volonté de protection de la vie privée : ils ne veulent pas devenir de la chair à données pour Enédis" ajoute enfin Me Lèguevaques. Un argument pour le moment insuffisant aux yeux de la justice française, alors qu’un sondage* vient de révéler que 71% des Français souhaiteraient avoir la possibilité de refuser l’installation du compteur Linky à leur domicile.
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*Sondage YouGov pour le magazine Capital réalisé en ligne les 26 et 27 mars 2019 auprès de 1.000 Français.