La crise du milieu de vie, un nouveau départ ?
Crise de la quarantaine ou démon de midi, ce seraient les manifestations d'un même phénomène : la crise du milieu de vie. Elle définit une période de doutes et de remise en question, d'un bilan de vie, qui pousse parfois à en changer avec fracas. Comment s'explique-t-elle ? Comment la traverser de façon plus apaisée ?
Une crise existentielle devant le temps qui passe
Chez certaines personnes, cette crise existentielle survient sans crier gare et comme un coup de tonnerre. Chez les autres, beaucoup plus nombreux, elle prend la forme adoucie d'une transition lissée sur quelques temps.
La crise du milieu de vie survient en moyenne entre 45 et 55 ans. Ce sentiment de malaise arrive souvent au décours d'un facteur déclenchant qui initie une introspection. Il s'agit, par exemple, d'un problème de santé, d'une période de chômage, d'un deuil, du départ des enfants à la faculté, ou encore d'une rencontre érotique, qui fait prendre conscience que l'on n'a qu'une vie et que sa fin se rapproche irrémédiablement. Alors que nous suivions nos habitudes sans nous poser de questions, ce facteur déclenchant les remet en questions et nous pousse à dresser le bilan de notre vie.
Certains auront l'impression de ne pas avoir vécu, d'avoir mis leur vie de côté, en attendant de finir leurs études, de réussir socialement ou d'avoir des enfants,... Ils auront investi toute leur énergie dans une sphère (familiale, professionnelle ou sociale), au détriment de besoins plus profonds et personnels.
Une remise en question des choix effectués
"Qu'ai-je fait de ma vie ? Mes choix étaient-ils les bons ? Me suis-je fourvoyé(e) dans une vie qui ne me convient pas ?"
Alors que le miroir renvoie l'image du temps qui passe, ces questions hantent celui qui doute de sa vie… Durant la première partie de vie, nous nous construisons en réaction aux gens qui nous entourent, en restant tournés vers l'extérieur. Avec les années, nous obtenons un équilibre affectif en nous conformant à ce que l'on attend de nous, en nous glissant dans un rôle familial, conjugal ou professionnel et en acquérant un statut social et des biens matériels. Mais ce personnage que nous affichons avec les autres ne nous reflète pas complètement et peut nous étouffer au fil du temps.
D'autres aspirations, qui sommeillent en nous sans être formulées, refont surface et demandent à être réalisées. Un vide intérieur, un mal-être, parfois une franche angoisse s'emparent de nous, alors même que notre vie semble parfaitement réussie.
La crise de milieu de vie est une crise identitaire, où les idéaux de la jeunesse se télescopent avec ce qui a effectivement été réalisé. Elle correspond donc à une rupture avec ce que nous avons vécu et à une ouverture vers un accomplissement plus global, qui nous ressemble pleinement. Pour certains, l'évolution est plus fluide et facile que pour d'autres, où la prise de conscience est abrupte et brutale.
Comprendre ses choix
Les choix de vie sont la résultante de notre éducation, de motivations plus ou moins conscientes, d'un besoin de reconnaissance sociale ou familiale, de hasards et d'opportunités saisies, de chance et de malchance.
Remettre nos choix dans cette perspective, au moment où ils ont été faits, est intéressant pour mieux les comprendre et à terme mieux les accepter.
Pour Lisbeth von Benedek, psychanalyste, comprendre les raisons de nos choix de vie aide aussi à mieux cerner ce qui nous manque, ce qui nous rend malheureux ou ce qui nous angoisse.
A la croisée des chemins
Face à la crise, les uns s'engouffrent sans réfléchir vers ce qui les attire ; les autres refusent de prendre en compte leur malaise et sombrent dans le déni ; certains se posent et prennent le temps d'analyser ce qui se passe en eux.
Dans le premier cas, démarrer une nouvelle existence semble parfois la seule alternative pour vivre davantage en accord avec ses envies, quitte à faire souffrir ses proches. L'urgence du temps perdu pousse à vivre avec frénésie : "C'est maintenant ou jamais qu'il faut vivre !" Les sirènes d'un nouvel amant ou d'une maîtresse, d'un tour du monde, sont séduisantes… mais hélas elles apportent rarement des réponses, lorsque les racines du malaise sont plus profondes.
Comment savoir si ce qui nous attire n'est pas un leurre ? Que l'insatisfaction de notre vie actuelle ne prend pas la forme d'une chimère séduisante mais irréaliste ? Un changement de vie trop hâtif est voué à l'échec, en se précipitant dans une réponse facile qui éviterait l'introspection et la confrontation avec ses faiblesses.
A l'inverse, le déni d'une existence qui ne rend pas heureux est l'option choisie par certains, par peur de lâcher la proie pour l'ombre… A force de se dire "ce n'est qu'un passage à vide, ça va passer", on passe à côté des vraies questions et on court le risque d'une dépression, de s'enfermer dans une vie qui nous rend malheureux.
Quelle voie entre ces deux extrêmes ? Celle de la réflexion posée, parfois avec une aide extérieure.
Un moment éprouvant pour le couple
La crise du milieu de vie survient souvent quand les enfants quittent la maison pour les femmes (syndrome du nid vide) et dans la sphère socio-professionnelle chez les hommes (ou à cause d'une santé défaillante). Le partenaire se retrouve démuni face aux interrogations et aux changements de quelqu'un qu'il pensait connaître. Une thérapie de couple aide à comprendre un peu mieux ce qui se passe dans la tête de l'autre et à l'accompagner, à faire les adaptations inhérente aux changements, mais aussi à mettre des limites et à se protéger…
La remise en questions, indispensable pour évoluer
Il est impératif de se poser et de faire une évaluation globale de sa vie, en abordant les différents aspects (familial, sentimental, amical et professionnel). Il ne s'agit pas d'un caprice, mais d'une véritable mue. La liste des question qui nous agitent permettra de les rendre concrètes : les de quoi ai-je envie et besoin ? Dois-je vraiment continuer ce job ? Suis-je encore amoureux de la femme ou l'homme qui partage ma vie ? Quelle activité pourrait donner un sens à ma vie ? Les réponses demandent un effort et une réflexion considérables mais elles apportent la réconciliation avec soi-même… Et dans 20 ans, il sera trop tard pour changer !
C'est donc le moment de se libérer du personnage que nous nous sommes construits et qui ne nous suffit plus. Dans son livre "La crise du milieu de vie. Un tournant, une seconde chance", la psychanalyste Lisbeth von Benedek parle de démasquer le "personnage social", conforme aux normes du socialement correct, grâce auquel nous nous sommes construits dans la première partie de notre vie.
Place aux aspirations plus profondes. Certains se tournent vers la spiritualité ou vers une activité artistique qui laisse s'exprimer leur corde sensible. D'autres prennent des décisions plus radicales dans leur vie : divorce, changement professionnel,… Pourquoi pas si elles sont mûrement réfléchies ?
Lâcher le passé pour vivre au présent. Le passé nous apprend ce dont nous ne voulons plus : ainsi nos "erreurs" sont-elles intéressantes pour déterminer un présent plus serein. Mais pour construire un futur plus en accord avec nous-mêmes, il est nécessaire de nous libérer du passé, sans le ressasser de façon stérile. Il est alos possible de vivre davantage au présent, d'être dans l'instant, en goûtant sereinement le moment.
Accepter de vieillir. Selon Lisbeth von Benedek, dire adieu à l'adolescence éternelle et accepter de vieillir sont deux étapes nécessaires. Cela passe par l'acceptation des rides qui sillonnent le visage, de la peau qui se relâche, du ventre qui s'arrondit,… Ce qui est d'autant plus difficile dans une société qui valorise plus que tout, la jeunesse. Accepter le corps pour mieux le mettre en harmonie avec l'esprit.
Ne pas vivre dans l'idéal mais dans le réel... Autre conseil de la psychanalyste : nous confronter à nos déceptions et oublier le rêve de vie irréaliste que nous caressions durant l'enfance ou l'adolescence. Ces images idéalisées sont à mettre face à nos besoins réels et actuels : une part de réalisme est donc indispensable pour réaliser cette transition de façon harmonieuse. Ce réalisme aidera aussi à prendre conscience du chemin parcouru et de toutes les réussites accomplies, que le mal-être fait souvent oublier.
Un nouveau départ ?
Du négatif jaillit le positif ; une crise est constructive si on sait l'analyser et l'aider par un psychothérapeute est parfois précieuse pour guider dans le flot de questions et canaliser les angoisses. Se remettre en questions et se débarrasser de ce qui ne convient plus sont souvent plus faciles à faire dans le cadre bienveillant et sûr de la thérapie ; le regard extérieur enrichit la réflexion. Psychologue, psychothérapeute, psychiatre (notamment en cas de dépression) sont des interlocuteurs de choix. Quand les interrogations sont essentiellement professionnelles, le recours à un coach est une possibilité.
Le deuil de la vie passée et l'acceptation du temps qui passe ouvrent la porte à de nouvelles expériences, plus en accord avec nous-mêmes. De nouveaux talents sont à développer, de nouvelles relations à nouer, qui ne sont plus axés sur la reconnaissance sociale, mais sur de véritables affinités.
Comme l'écrivait si bien le poète chinois Xu Gan, "le défaut des hommes est de déplorer la mort au lieu d'aimer la vie ; de regretter le passé au lieu de penser à l'avenir"… Et si la crise du milieu de vie apprenait à savourer le présent, pour avoir un futur lumineux, en accord avec nous-mêmes ?