Les jeunes face à la solitude
Si l'isolement touche moins les jeunes que les seniors, il est plus marquant dans cette population. Les explications de Vincent Lapierre, psychologue.
Entre 15 et 30 ans, ils sont 700.000, soit 6% de la classe d'âge, à n'avoir aucune relation régulière, et 1,4 millions (12%) à être en situation de vulnérabilité, c'est-à-dire avec un réseau relationnel faible.
Comment s'explique la solitude des jeunes ?
La solitude touche des jeunes qui ont connu tôt des problèmes familiaux, des parents en difficulté financière ou psychologique, et qui n'ont pas pu passer aussi aisément que d'autres les étapes de socialisation. Souvent, les jeunes patients racontent en consultation qu'ils ne pouvaient pas inviter de camarades chez eux, et que cela les freinaient dans leurs amitiés dès l'enfance.
A l'adolescence, on rencontre aussi des jeunes qui s'isolent, notamment à cause de complexes physiques ou sociaux. Cela peut tout à fait être transitoire, mais c'est un indicateur d'une souffrance, qui est plutôt cachée. Il y a une honte à ne pas avoir d'amis qui est très marquée à cette période de la vie. Le harcèlement scolaire aussi est à surveiller.
Enfin, chez les jeunes adultes, qui peuvent être les précédents ayant grandi, il s'agit de jeunes un peu déracinés, qui font leurs études ou cherchent un premier emploi loin du lieu où ils ont grandi. Ils se trouvent alors isolés. Pour ces personnes, les questions financières, de logement et de transport conditionnent énormément leur vie sociale, de manière très factuelle, mais avec des implications psychologiques fortes. On peut tout à fait se sentir désespéré quand les conditions de vie empêchent de trouver du soutien.
Les effets de la solitude sur la santé
La solitude, quand elle est subie, a des conséquences sur la santé. Le premier risque est la dépression. Les jeunes isolés sont significativement plus déprimés que les autres, et cela peut prendre des formes très différentes quand une souffrance morale s'installe. Et le suicide est fortement associé au sentiment de solitude, et à l'impression désespérante que ça ne pourra pas changer.
Un jeune qui s'isole n'a pas nécessairement d'idées suicidaires. Le premier message de prévention est d'ailleurs de ne jamais hésiter à poser la question à quelqu'un dont on pense qu'il est en difficulté. Contrairement à certaines idées reçues, demander à quelqu'un s'il pense au suicide diminue le risque de passage à l'acte.
Il existe également un mécanisme moins visible mais important : nous sommes tous mieux soignés quand une personne prend soin de nous. Cela tient au regard de l'autre sur nous, à des observations bienveillantes qu'on peut nous faire qui sont beaucoup plus encourageantes que les messages génériques de santé publique.
L'alcool et la drogue comme refuges ?
Le risque qui préoccupe beaucoup les parents, c'est le refuge dans l'alcool ou la drogue. Cela reste un chantier important en terme de prévention : les consommations sont en légère baisse, mais les jeunes Français consomment toujours plus que les autres Européens, particulièrement du cannabis.
Les jeunes isolés consomment en revanche moins d'alcool ou de drogues que les autres, ce qui peut correspondre à un usage dit "récréatif", plutôt en groupe, mais aussi à des raisons financières, puisque les jeunes isolés ont en général moins de moyens.
Cependant, même moins fréquent, l'usage régulier d'alcool ou de cannabis chez des jeunes isolés est un signe d'alerte à ne pas négliger. Certains jeunes peuvent avoir une consommation quotidienne pour faire face à des situations de grande tension psychique, voire même à des pathologies psychiques qui se déclarent dans ces âges-là.
Internet, cause ou conséquence de l'isolement ?
Une autre crainte est un repli vers Internet. Il faut distinguer Internet, les réseaux sociaux et les jeux en ligne. Tous soulèvent beaucoup de questions. Une des grandes difficultés réside dans l'incompréhension de la génération précédente : les usages qui sont naturels pour les jeunes aujourd'hui peuvent paraître étrangers et inquiéter, mais pas toujours à juste titre.
Certains patients jouent beaucoup, dans une proportion qui serait inquiétante s'ils n'étaient pas par ailleurs capables d'une distance critique mais surtout de dire ce qu'ils y trouvent. On peut être isolé à l'école mais être un membre influent d'une équipe ou d'une guilde en ligne, et y trouver un vrai soutien affectif, y compris auprès de personnes qu'on ne voit pas souvent, voire jamais. On se couche tard, on est fatigué le lendemain, mais l'équilibre peut devenir difficile à établir pour un observateur extérieur.
Quant aux réseaux sociaux, si le danger de harcèlement existe et ne doit pas être minimisé, l'essentiel des interactions ont lieu entre des personnes qui se connaissent bien et se voient souvent. Les jeunes isolés n'en ont pas exactement le même usage que les autres, ils sont notamment plus critiques, et choisissent leurs contacts.
Le harcèlement est une hypothèse à ne pas négliger quand on est face à un jeune qui s'en coupe brutalement, et on peut alors trouver en ligne de très bonnes recommandations pour y faire face, ou faire appel à des spécialistes. Internet modifie largement le rapport qu'on a pu avoir à l'intimité. C'est un sujet intéressant à aborder sans a priori avec des ados aujourd'hui.
Comment faire face à la solitude ?
Si un jeune ressent la solitude, il doit tout d'abord se faire confiance pour savoir s'il souffre et où cela se situe pour lui. Être isolé est parfois un soulagement mais sur la durée, tous les humains ont besoin de contacts aimants, et il est possible de trouver un accompagnement qui les rende à nouveau possibles. Il faut donc en parler à quelqu'un qui saura l'entendre. On peut par exemple prendre contact avec le Fil santé jeunes (tel : 0 800 235 236).
Si on est parent et que l'on constate que son enfant s'isole, on court toujours le risque d'être intrusif si on donne l'impression d'émettre un jugement sur les choix d'un autre, particulièrement sur les choix de son enfant ! En revanche, faire part de son inquiétude peut se faire sans jugement. Il faut par exemple éviter les formules du type "c'est pas normal, moi à ton âge...", ce n'est pas la bonne méthode.
On peut en revanche demander s'il y a une douleur, physique ou morale d'ailleurs, et en dehors d'une urgence, suggérer de trouver de l'aide, et proposer d'accompagner cette démarche. Les professionnels de santé mentale dans leur ensemble, peuvent aussi proposer une forme de guidance à des parents inquiets.