Radicalisation : les jeunes, proie facile pour Daesh
Des menaces de crimes ou d'attentats de plus en plus nombreuses au nom de l'Etat islamique sont recensées en France ces dernières semaines. Parfois, les terroristes réussissent à commettre leurs forfaits. Et parmi eux, on retrouve de plus en plus de mineurs, et de plus en plus de femmes. Pourquoi les jeunes sont-ils particulièrement ciblés par Daesh ? Les explications avec le Dr Serge Hefez, psychiatre et psychanalyste, intervenant dans "Le magazine de la santé" du 19 septembre 2016.
En France, le phénomène de radicalisation des jeunes inquiète. Mais pour le Dr Serge Hefez, il n'est pas étonnant. Fondateur de la consultation spécialisée sur le désembrigadement en liaison avec le numéro vert de la préfecture en 2015, ce psychiatre-psychanalyste constate que les mineurs et les filles sont largement représentés. Sur 8.000 personnes signalées pour radicalisation, un quart sont des mineurs et un tiers sont des femmes.
Cette consultation pour les jeunes radicalisés et leur famille se tient dans le service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Elle se fait à la demande des familles, inquiètes du changement de comportement de leur enfant. Les familles s'adressent au numéro vert (Stop-Djihadisme au 0 800 005 696) qui alerte la préfecture ou un commissariat de police. Cette inquiétude familiale est utilisée pour toucher l'adolescent et essayer de le sortir d'affaire.
Pourquoi les jeunes sont-ils la cible des rabatteurs de Daesh ?
Les adolescents sont particulièrement la cible de Daesh parce qu'ils sont plus fragiles, parce qu'ils se cherchent, parce qu'ils sont en quête d'idéal. Les ados cherchent des valeurs, quelque chose qui va transcender leur existence, ils sont dans une quête de sacré. Tous les adolescents qui adhèrent à ce discours, parfois jusqu'à vouloir partir en Syrie ou commettre des atrocités en France, ne sont pas forcément au départ des adolescents nihilistes. Ce ne sont pas tous des adolescents au profil de délinquant, ce sont au contraire beaucoup des adolescents qui sont en quête d'un idéal, de quelque chose qui donne du sens à leur existence, qui va remplir leur existence.
Tous les adolescents sont dans un moment où ils se détachent de leur famille, ils se désaffilient des valeurs de leur famille et ils essaient de trouver autre chose, d'autres groupes. Et selon les groupes dans lesquels tombent ces ados, il s'agira de groupes plus ou moins dangereux, qui vont plus ou moins pousser au passage à l'acte. Et les jeunes les plus fragiles sont ceux qui peuvent se laisser séduire, se laisser embarquer dans un discours plus sectaire. Or, le discours de l'Etat islamique est un discours sectaire.
De plus, les jeunes utilisent Internet et les réseaux sociaux depuis le plus jeune âge. Ils sont particulièrement sensibles aux théories du complot. Et les recruteurs de Daesh s'appuient très fortement sur la théorie du complot, sur une vision un peu paranoïaque du monde. Et malheureusement les adolescents les plus fragiles sont sensibles à cette vision paranoïaque du monde.
Des proies plus faciles que d'autres ?
Des profils très différents peuvent être touchés par la propagande islamiste radicale. Mais s'ils sont différents au départ, ils sont identiques à l'arrivée après l'adhésion au groupe et à la propagande de Daesh.
Au départ, les motivations sont très différentes. Chez les filles, il y a beaucoup de mère Teresa, des filles un peu exaltées qui veulent sauver le monde, qui veulent soigner les enfants victimes de Bachar El-Assad. D'autres filles se laissent séduire via Internet par un beau prince oriental barbu qui leur promet le mariage et la félicité éternelle. On voit aussi aujourd'hui d'autres profils de filles, plus combattantes, qui ne veulent pas simplement être des épouses mais aussi des combattantes. Chez les garçons, on trouve des Richard Cœur de Lion, ceux qui veulent combattre, qui veulent sauver les femmes et les enfants. Certains hommes ont des profils de mercenaires qui rêvent de combat, qui ont joué au combat sur Internet via des jeux vidéo depuis leur enfance et qui ne font pas trop la différence entre la réalité et le virtuel.
Tous ces ados ne sont pas isolés au départ. Mais après s'être radicalisé, l'ado entre dans un univers où tout devient dangereux. Il faut rompre avec les amis, avec l'école, avec les parents, avec toutes les activités… Le jeune s'isole et le seul groupe de référence devient ce groupe virtuel sur Internet. Les unes, les autres se sentent liées par des contacts virtuels. On méconnaît un peu aujourd'hui la force des contacts virtuels des jeunes via Internet. On pense que pour être relié à un groupe, il faut se connaître, il faut se regarder dans les yeux, il faut se côtoyer, se toucher… mais en réalité, pas du tout. La force des liens sociaux des adolescents via Internet est extrêmement forte.
Mais tous les jeunes ne sont pas menacés. Chez les plus sensibles au discours de Daesh, il y a une faille. Cette faille peut être de différents ordres. Il peut s'agir d'une faille d'ordre psychologique, c'est-à-dire que certains adolescents peuvent être en quête d'eux-mêmes, et ils peuvent avoir vécu dans leur famille un certain nombre de choses, un certain nombre de traumatismes… Ce sont les mêmes ados qui dans d'autres circonstances deviennent toxicomanes ou développent une anorexie. Il y a une souffrance intérieure qui fait qu'ils s'affilient à ce groupe. Mais il peut aussi s'agir d'ados qui sont dans un esprit de revanche, des ados qui sont déclassés socialement, des ados qui ont l'impression que la France n'est pas la terre d'accueil à laquelle ils auraient rêvé, ils ont l'impression d'être stigmatisés… Pour ces ados, les motifs psychologiques sont moins au premier plan que ces motifs de faire la guerre d'une certaine façon.