Covid : sommes-nous tous égaux face à l'infection ?
Pourquoi certains patients contaminés au Covid font-ils des formes graves, alors qu’ils sont jeunes et en bonne santé ? Existe-t-il des prédispositions génétiques ? Des personnes résistantes au coronavirus ? On fait le point.
"Il existe une variabilité de réponses aux agents infectieux entre les individus", explique le Pr Laurent Abel, co-directeur du laboratoire de génétique humaine des maladies infectieuses de l’Institut Imagine, à Paris. "Et c’est vrai pour tous les microbes ", dont le SARS-CoV-2.
Une vulnérabilité différente face à l'infection
Dans le cas du Covid, c’était "une primo infection pour tous", souligne le chercheur. "La majorité des gens vont être pas ou peu symptomatiques, et puis 2-3 % vont faire des formes sévères, et 1% va décéder, si on reprend les chiffres de la première vague, avant vaccination".
La proportion de personnes développant des formes asymptomatiques ou des formes plus ou moins sévères dépend de la virulence de l’agent infectieux. Et même pour des agents infectieux considérés comme pas ou peu virulents, une petite proportion de personnes fera des formes sévères d’une infection que l’on pensait banale, explique le Pr Abel.
"C’est le cas par exemple du virus Herpes simplex, qui est un virus très commun : plus que 90 % des gens sont infectés par ce virus, mais pour l’énorme majorité des gens vont être asymptomatiques ou faire juste un petit bouton de fièvre. Et puis une personne sur 50 000 va faire une infection sévère du système nerveux central, une encéphalite herpétique", détaille le généticien.
Mais alors quels sont les facteurs de susceptibilité de developper une forme sévère ?
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Prédispositions génétiques et formes graves
En octobre 2021, la prestigieuse revue The Lancet faisait le point :
A travers le globe, chaque équipe de chercheurs s'est lancée dans des pistes d'études différentes pour retrouver les facteurs génétiques de risque de formes graves ."Dans le contexte d’urgence de la pandémie, notre laboratoire s’est focalisé au départ sur des gènes que l’on connaissait déjà un peu, car on les avait identifié comme causant d’autres infections virales graves, en particulier les gènes impliqués dans la voie des interférons de type 1", explique le Pr Abel. Pourquoi les interférons ? Car ils sont connus pour avoir un rôle primordial au tout début de l’infection virale. "Leur boulot c’est d’inhiber et d’arrêter la réplication du virus, c’est la première barrière", souligne-t-il.
Et des anomalies génétiques au niveau de "13 gènes déjà connus" pour impacter la réponse immunitaire contrôlée par ces interférons de type I, ont été retrouvées chez des patients atteints de formes sévères de Covid-19, détaille le scientifique.
Certaines personnes plus à risque
Par la suite, d’autres anomalies génétiques ont été mises en évidence. Une étude plus large sur le chromosome X a montré que le gène TLR7 était muté chez certains hommes, un gène aussi impliqué dans le mécanisme de production d’interferon de type 1. Cette anomalie expliquerait 1,3% des formes graves de Covid 19, et ce déficit est plus fréquent (1.8%) chez les malades de moins de 60 ans.
Et ce n’est pas la seule approche utilisée pour trouver des facteurs de prédispositions génétiques aux formes sévères, complète Pr Abel. Certains chercheurs ont regardé les variants génétiques fréquents, appelés polymorphismes, grâce aux analyses "GWAS (génome Wide associated study)". L’anomalie la plus fréquente retrouvée est sur le chromosome 3, sur un fragment d'ADN ... hérité de Néandertal.
Mais quelle est la véritable conséquence de ce variant génétique, qui est présent chez environ 16 % de la population européenne, et 50 % en Asie du Sud ? Par quel mécanisme augmenterait-t-il le risque de forme sévère ? "Il n’y a pas de réponse claire", souligne le chercheur.
Et la loterie génétique ne s’arrête pas là. Certains individus sont encore plus chanceux : ils sont tout simplement résistants à l’infection par le coronarovirus : c’est-a-dire que, même après une exposition répétée et à risque, ils ne s’infectent pas.
Des facteurs de résistance à l’infection
Pour retrouver les mécanismes de résistance à l’infection, les chercheurs se concentrent sur les portes d’entrée du virus dans les cellules hôtes, qui sont les récepteurs et co-récepteurs cellulaires.
L’exemple le plus célèbre de résistance à une infection est celui constaté pour le VIH. "Certaines personnes ont une mutation génétique avec une perte de fonction complète d’un récepteur appelé CCR5 - c’est un des récepteurs d'entrée du VIH dans une cellule - et elles ne s’infectent pas, malgré une large exposition", rappelle le Pr Abel.
Concernant le Covid, plusieurs mécanismes potentiels de résistance à l’infection sont suspectés mais les implications concrètes sont encore modestes à ce jour. Et parmi les facteurs de résistance qui ont fait beaucoup parler d'eux, on retrouve le groupe sanguin. En effet, les personnes de groupe 0 positif auraient moins de risque d'être infectés. Mais d’après une méta analyse récente, cet effet protecteur serait mineur.
Un appel a été lancé par un collège de scientifiques internationaux pour identifier les caractéristiques des personnes résistantes à l’infection. Les chercheurs s’intéressent en particulier aux personnes qui n’ont jamais été infectées, malgré plusieurs "expositions répétées et à risque". Il est encore possible de s’inscrire sur le site Covid Human Genetic Effort pour participer à l’étude.
Et le mécanisme de résistance à l’infection serait-il spécifique pour chaque type de variant viral ? En effet, on connait tous des personnes qui n’ont pas été infectées pendant longtemps puis sont récemment tombées malades. C’est encore une autre inconnue de l’équation, explique le généticien.
Des facteurs immunologiques en cause
Il n'y a pas que la génétique qui pose problème… Des facteurs immunologiques seraient aussi à prendre en compte.
Les chercheurs ont montré que 15 à 20% des formes sévères de Covid seraient causées par la présence d’auto-anticorps dans le sang qui visent spécifiquement les interférons de type 1. Ces auto-anticorps, absents chez les personnes qui développent une forme peu symptomatique de la maladie, sont rares dans la population générale. "Pourquoi certaines personnes ont des auto-anticorps contre les interférons de type 1 ? Cette auto-immunité se développe à cause de plusieurs de facteurs qu’on cherche à comprendre", conclut le Pr Abel.
Dans tous les cas, mieux comprendre les facteurs de prédispositions et de résistance à l'infection permettra d’identifier les patients à risque de formes graves et d’améliorer leur prise en charge, mais aussi de proposer de nouvelles pistes de traitement.
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