Faut-il avoir peur des virus libérés par la fonte des glaces ?
En Arctique, le réchauffement climatique fait fondre les glaces qui emprisonnaient des anciens virus. Ainsi libérés, ils pourraient contaminer des organismes vivant dans ces régions reculées, alerte une nouvelle étude.
Fonte des glaces, virus cachés et épidémie : c'est ce curieux mélange sur lequel nous alerte une étude canadienne publiée mercredi 19 octobre dans la revue Proceedings of the Royal Society B. D'après celle-ci, le réchauffement climatique pourrait provoquer un "débordement viral" depuis l'Arctique, où des virus jusqu'ici préservés dans la glace pourraient être libérés et entrer en contact avec de nouveaux hôtes.
En effet, les virus ont besoin d'un hôte (humain, animal, plante ou
mousse) pour se répliquer et se diffuser, en utilisant au besoin un hôte
dépourvu d'immunité contre lui, comme l'a montré la récente pandémie de Covid-19 avec
l'humain.
Des prélèvements à 300 mètres de fond
Des scientifiques canadiens ont cherché à savoir si le changement climatique pourrait favoriser un tel scénario dans l'environnement arctique du lac Hazen. Situé à l'extrême nord du Canada, c'est le plus grand lac situé au-delà du cercle arctique.
Les chercheurs ont prélevé des échantillons du lit d'une
rivière qui l'alimente à la fonte des glaces pendant l'été, ainsi que du fond
du lac. Ce qui a nécessité de forer deux mètres de glace avant d'atteindre le fond
des eaux glacées du lac, à presque 300 mètres.
À
l'aide de cordes, une moto des
neiges a ensuite hissé les sédiments, qui ont été séquencés pour leur ADN et
ARN, le code génétique et l'outil de réplication du vivant. "Cela nous a
permis de déterminer quels virus se trouvaient dans un environnement donné, et
quels hôtes potentiels s'y trouvaient aussi", a expliqué à l'AFP Stéphane
Aris-Brosou, professeur associé au département de biologie de l'Université
d'Ottawa, qui a supervisé l'étude.
L'équipe a ensuite cherché à savoir dans quelle mesure les
virus étaient susceptibles de changer d'hôte, en examinant l'équivalent de
leurs arbres généalogiques respectifs.
De nouveaux hôtes pour les virus
"Nous avons cherché à mesurer à quel point ces arbres (généalogiques) étaient similaires", a expliqué Audrée Lemieux, étudiante en master de microbiologie et immunologie à l'Université de Montréal, première autrice de l'étude. Des généalogies similaires suggèrent que le virus a évolué avec son hôte, alors que des différences indiquent qu'il a pu changer d'hôte. Et s'il l'a fait au moins une fois, il est susceptible de recommencer.
De plus, les analyses ont montré de grandes différences dans
les arbres généalogiques des virus et de leurs hôtes dans les sédiments
extraits du fond du lac. Ces différences étaient moins prononcées dans le
lit de la rivière alimentant le lac. Les chercheurs supposent que l'eau de
fonte des glaciers érode les sédiments du lit, limitant ainsi les interactions
entre les virus et des hôtes potentiels.
En revanche, l'accélération de la fonte des glaciers
alimentant le lac a aussi accru la quantité de sédiments qui y est
transportée. "Cela va mettre en contact des hôtes et des virus qui ne
l'auraient pas été normalement", selon Audrée Lemieux.
Des conséquences "complètement imprévisibles"
Les auteurs de l'étude ont pris soin de préciser qu'ils ne prévoient pas pour autant de débordement viral ou une pandémie. "La probabilité d'évènements dramatiques reste très faible", selon Audrée Lemieux. Mais selon les chercheurs, le risque pourrait s'accroître avec la poursuite du réchauffement climatique, car de nouveaux hôtes pourraient s'aventurer dans des régions auparavant inhospitalières. En effet la fonte des glaces faciliterait l’accès à ces endroits.
Selon Audrée Lemieux "il pourrait s'agir aussi bien de tiques ou de moustiques ou d'autres animaux, mais aussi des bactéries et des virus".
La possibilité d'un débordement est "complètement
imprévisible, et ses conséquences aussi, allant d'un caractère bénin jusqu'à
une vraie pandémie", a-t-elle ajouté.