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A Marseille, des parents contraints de traverser l'hôpital, leur bébé décédé dans les bras

A la suite d'une succession de dysfonctionnements, des jeunes parents ont été contraints d'accompagner seuls leur nourrisson décédé jusqu'à la chambre mortuaire de l'hôpital de La Timone.

Maud Le Rest
Rédigé le , mis à jour le

"Il faut que ça se sache si on veut que les choses bougent. Même si c’est dur de partager notre intimité." Marine et Julien sont toujours hantés par leurs blessures. Et luttent pour que personne n’ait plus jamais à subir ce qu’ils ont vécu. Le 20 septembre 2017, Marine accouche d’une petite fille, Lilou, à l’hôpital de La Timone, à Marseille. Mais Lilou souffre d’une malformation du diaphragme. Après deux heures de vie, elle est admise en réanimation et opérée 10 heures plus tard. Elle décèdera trois jours après. Jusque là, les parents ont été informés de la situation, et le personnel se montre extrêmement compréhensif et disponible. "C’est après le décès que ça a été du n’importe quoi", se souvient Marine.

Ni couffin, ni ambulance

Lors d’un décès comme celui-ci, le protocole veut qu’un brancardier vienne chercher le corps sous deux heures pour l’emmener en chambre mortuaire. Un délai respecté, puisqu’une brancardière arrive dans les temps. Problème : elle n’a pas de couffin. Le corps du bébé ne peut donc être transporté en brancard jusqu’à l’ambulance. "La brancardière est arrivée comme ça. Elle avait une drôle de tête, et j’ai su que quelque chose clochait. Sans couffin, impossible de transporter le corps, il aurait fallu le faire porter de bras en bras, par des inconnus. La brancardière a appelé tous les services concernés, mais personne n’a répondu. Ca a duré environ un quart d’heure", se remémore Marine.

Le personnel ne peut plus attendre. Décision est alors prise par la mère et la brancardière d’emmener le corps de Lilou vers l’ambulance, à pied. La brancardière fait passer Marine et Julien par plusieurs couloirs, de façon à croiser le moins de monde possible. Ils prennent des ascenseurs destinés au personnel, et marchent pendant 15 minutes avant de quitter l’établissement. Mais une fois sortis, aucune ambulance ne les attend. Il faut, encore une fois, continuer à pied. "J’ai dû marcher avec ma fille décédée dans les bras, alors que j’avais accouché trois jours plus tôt", explique Marine.

L'attente, leur bébé dans les bras, face au local à poubelles

Au terme de leur trajet – de près d’un kilomètre – tous trois arrivent devant le dépositoire. "On trouve une porte fermée. Alors la brancardière appelle les services compétents, mais personne ne lui répond. Nous attendons à l’arrière du dépositoire, devant l’entrée du personnel. Nous sommes au niveau du local à poubelles, assis sur des parpaings, avec les rats." Et puis, au bout d’un quart d’heure, une femme arrive. "Elle est très désagréable. Elle nous demande ce qu’on fait là, alors je lui réponds très ironiquement qu’on est ici pour boire un café. Elle nous affirme qu’on n’a pas le droit d’être là. On la met au courant de la situation, et la brancardière lui fait savoir que son comportement est déplacé", se rappelle Marine.

"Et puis une équipe de trois nouveaux brancardiers arrive à son tour. La femme qui les dirige reste bête devant la situation. Elle n’y croit pas", raconte Marine. Au bout d’une heure, le personnel finit par ouvrir les portes du dépositoire grâce à un badge récupéré auprès des pompiers. Mais on explique aux parents qu’on ne peut pas les y faire entrer, et qu’ils devront appeler l’hôpital le lendemain, dès 8h30. La brancardière qui récupère Lilou est en pleurs. "Nous sommes repartis sans aucun papier, sans acte de décès. Le lendemain, nous avons appelé toute la journée. Personne ne nous a répondu."

"Nous avons reçu un courrier nous réclamant une attestation de sécurité sociale pour Lilou"

De retour chez eux, le calvaire des jeunes parents est loin d’être terminé. "J’ai accouché le mercredi. Le samedi, nous étions chez nous. Le jour-même, nous avons reçu un courrier nous réclamant une attestation de sécurité sociale pour Lilou. On nous informait que si je ne retournais pas l’attestation sous dix jours, mes frais de séjour me seraient facturés", s’étouffe encore Marine. Dans les jours suivants, les parents appellent l’hôpital pour faire régulariser leur dossier. Car lors de l’annonce du décès de leur fille, ils s’étaient aperçu que son bracelet de naissance comportait des erreurs : "Elle portait mon nom de famille – alors que ce devait être celui de mon conjoint – et à la place de Lilou, il y avait marqué « Fille »."

Plusieurs mois après le drame, les parents ne peuvent porter plainte contre l’hôpital. "Il n’y a rien de pénalement répréhensible", déplore Marine. Alors ils ont décidé de continuer à se battre en faisant connaître leur histoire. Le tragique épisode qui s’est déroulé il y a deux semaines dans ce même hôpital y est pour beaucoup. Deux corps de bébés décédés y ont en effet été échangés, et l’un d’entre eux a été incinéré par erreur. "Après ce qui nous est arrivé, nous avons été reçus par la direction, qui s’est excusée. Ils ont ensuite fait une réunion, et des choses ont soi-disant été mises en place pour améliorer la situation. Mais quand on a appris cette nouvelle, on s’est dit qu’on avait en fait essayé de nous brosser dans le sens du poil", confie Marine. Qui poursuit : "Quand cette nouvelle info est sortie, il ne s’est rien passé du tout pour nous. J’attendais un coup de fil. Ils ont mon mail, mon adresse, mon numéro de téléphone…"

Aucun suivi psychologique n'est proposé aux parents

Un comble, quand on sait que Marine et son conjoint ont dû se battre pour obtenir des excuses de la part de la direction. "Nous avons été suivis par une psychologue en dehors de l’hôpital, qui nous a expliqué que nous devrions envoyer un courrier à l’établissement pour expliquer en détails ce qui s’était passé. Si on n’avait pas envoyé de mail, on n’aurait jamais été reçus par la direction", explique Marine. Aujourd’hui encore, ils se souviennent avec amertume du communiqué de l’AP-HM qui a suivi le décès de leur fille : "L’hôpital proposait une cellule psychologique pour ses employés. Nous avions envie de rire. La moindre des choses, c’était de nous en proposer une, à nous !"

Six mois plus tard, Marine et Julien reçoivent encore des témoignages de personnes ayant vécu des expériences similaires. Alors ils continuent de raconter leur histoire, et de revivre, par le souvenir, l’un des moments les plus durs de leur vie. Et si une chose leur tient particulièrement à cœur, c’est de remercier la brancardière qui les a accompagnés vers le dépositoire, pourtant mise en accusation par le communiqué de l’AP-HP : "Elle a fait ce qu’on lui a dit de faire. Elle est la seule personne qu’on remercie."

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