Algérie : des femmes abandonnées par leur mari après leur ablation du sein
En Algérie, des centaines de femmes atteintes d'un cancer du sein et devant subir une ablation, se voient ensuite rejetées par leur mari.
« Nass mraa » (demi-femme) ou « lamgataa » (la mutilée), deux surnoms difficile à entendre de la part d’un mari lorsque l’on sort de l’hôpital pour une ablation de son sein. Et quelques temps plus tard, ce même mari qui demande le divorce après 25 ans de mariage. C’est ce qu’a vécu Zohra comme de nombreuses Algériennes ayant ce type de cancer. « Le cancer ? C’est rien comparé au fait d’être rejetée après 18 ans de mariage » confie également Linda à l’AFP. Safia, une enseignante de 32 ans, est allée jusqu’à prendre les devants peu après l'ablation de ses deux seins en rompant ses fiançailles "avant que lui ne le fasse", confie t-elle, "ma belle-famille ne voulait plus de moi. Je n'avais ni la force ni l'envie de lutter". Une sorte de double peine pour ces femmes qui trouvent refuge et réconfort dans des centres d’accueil et auprès de l’association Nour Doha (Lumière du jour) d’aide aux cancéreux des deux sexes.
Une maladie honteuse
Un phénomène très compliqué à identifier dans une société où ce qui touche à l’intime est généralement tabou. Un interdit qui conduit à des comportement extrêmes. Les femmes ayant témoigné auprès de l'AFP ont requis l'anonymat et refusé d'apparaître à visage découvert. Elles "considèrent leur maladie comme honteuse", explique Samia Gasmi, présidente de l’association Nour doha. Une malade "a refusé d'en parler à sa propre sœur", une autre "s'est mise à porter le foulard (islamique) avant la chimiothérapie, pour que sa belle-famille ne se doute de rien" et une femme a même "préféré mourir avec ses deux seins plutôt que d'accepter une ablation".
Pour Yamina Rahou, sociologue au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) d'Oran, dans le nord-ouest de l'Algérie, ce sentiment de honte vient de "la souffrance d'être amputée d'une partie (du corps) qui symbolise la féminité". Mais aussi "du fait de ne plus être en conformité avec l'image de la femme", ajoute-t-elle.
"Ce n'est pas un problème de religion mais d'éducation »
En revanche, rien ne justifie le comportement de ces maris selon le théologien Kamel Chekkat, de l'association des oulémas d'Algérie, qui refuse que l’islam soit mis en cause comme justification. "Ce n'est pas un problème de religion mais d'éducation. La religion exhorte les époux à se soutenir mutuellement" et pour l'islam "l'homme honorable honore sa femme et l'homme vil l'humilie".
Surtout que l’ablation d’un sein peut être suivi d’une reconstruction mammaire. Il existe deux principales méthodes, parfois associées : la mise en place d'une prothèse interne (implant mammaire) et l'utilisation de tissus provenant d'autres parties du corps (reconstruction par lambeau). Mais l’accès à ce soin reste compliqué en Algérie. En cause : d’un côté, les structures publiques proposant cette prestation gratuitement sont surchargées. De l’autre, des prix très peu abordables dans le secteur privé. Des perspectives peu rassurantes pour Safia qui a perdu 10 kg au fil des séances de chimiothérapie et radiothérapie depuis un an : "mes parents sont là pour moi. Mais qui voudra d'une femme comme moi?"