Comment expliquer l'augmentation des cas de cancers de la thyroïde ?
Est-ce qu'une hypo ou une hyperthyroïdie peuvent aboutir à un cancer de la thyroïde ? L'augmentation des cas de cancers de la thyroïde n'est-elle pas due à l'augmentation du dépistage ?
Les réponses avec le Pr Martin Schlumberger, chef du service de médecine nucléaire et de cancérologie endocrinienne à l'Institut Gustave Roussy (Villejuif) :
"L'hypo et l'hyperthyroïdie sont deux pathologies totalement différentes. On a la pathologie fonctionnelle, c'est-à-dire la production d'hormones thyroïdiennes qui est responsable d'hypo ou d'hyperthyroïdie. Et on a la maladie morphologique qui est la grosse thyroïde qu'on appelle le goitre ou les nodules thyroïdiens.
"Oui, l'augmentation des cas de cancers de la thyroïde est due à l'augmentation du dépistage. Il n'y a pas d'augmentation de l'incidence du cancer de la thyroïde en France, notamment depuis Tchernobyl. Tchernobyl n'a pas eu de conséquence sanitaire en France, en tout cas pour la thyroïde. Cela est totalement admis par les autorités scientifiques. Depuis le début des années 80, on dispose d'échographies, de cytoponctions et ceci amène à trouver de petits nodules qui n'étaient pas perçus autrefois parce que la palpation n'était pas capable de les diagnostiquer. Et ces petits nodules sont soumis à des explorations, notamment la cytoponction et cela conduit à ce qu'on appelle le surdiagnostic. On va trouver des pathologies thyroïdiennes qui, si elles étaient non diagnostiquées et non traitées, ne conduiraient ni à l'apparition de symptômes, ni au décès des malades.
"Sait-on lesquels vont évoluer et ceux qui n'évolueront pas ? On sait par des études prospectives que parmi les micro-cancers de la thyroïde de moins d'un centimètre de diamètre, 85% n'ont pas progressé au bout de dix ans. Donc si on opère tous ces micro-cancers de la thyroïde au départ, on n'opère pour rien 85% de ces micro-cancers. Actuellement, on recommande de ne pas faire de dépistage systématique. Ensuite, si le nodule mesure moins d'un centimètre de diamètre, on recommande de ne pas faire de cytoponction mais simplement de le surveiller. Et si le nodule est ponctionné et mesure moins d'un centimètre de diamètre, et qu'on a trouvé des cellules cancéreuses, on peut offrir au patient soit une surveillance active, c'est-à-dire le contrôle avec échographie tous les ans ou tous les deux ans et intervention chirurgicale uniquement si le nodule augmente de volume, soit la chirurgie immédiate si les malades sont trop anxieux pour supporter l'idée d'avoir un petit cancer dans le cou.
"Aujourd'hui, on opère probablement un petit peu trop. On opère environ 50.000 thyroïdes en France chaque année pour 4.000 cancers cliniques et autant de micro-cancers thyroïdiens. Le rapport cancers cliniques-thyroïdectomies est de un pour douze ce qui n'est peut-être pas beaucoup."