Deux fois plus d’arrêts cardiaques en Ile-de-France pendant le confinement
Le nombre d’arrêts cardiaques a doublé pendant le confinement en région parisienne. Le Covid-19 explique un tiers de ces cas. Le manque de suivi médical, les médicaments ou encore le stress peuvent expliquer les deux autres tiers.
Des arrêts cardiaques plus nombreux et plus mortels. Selon une étude parue le 27 mai 2020 dans le journal The Lancet Public Health, le nombre d'arrêts cardiaques a doublé en région parisienne au pic de l'épidémie de Covid-19, qui tombait pendant le confinement. Et la survie de ces patients était quant à elle divisée par deux par rapport aux chiffres habituels.
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Plus de 26 arrêts cardiaques pour un million d’habitants
A l’origine de cette analyse : des chercheurs et médecins de l’hôpital Européen Georges Pompidou à Paris, du Centre de Recherche Cardiovasculaire à l’INSERM de Paris et de la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris. Ces experts se sont appuyés sur les données du registre francilien (Paris et Hauts de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne) du Centre d’Expertise Mort Subite (Paris-CEMS).
Résultat : sur les neuf dernières années, le nombre d’arrêts cardiaques était resté stable dans Paris et sa banlieue qui comptent 6,8 millions d'habitants. Mais ce chiffre a fortement augmenté au cours des six premières semaines du confinement (du 17 mars au 26 avril) en particulier au pic de l'épidémie (23 mars au 5 avril).
Ainsi, 521 arrêts cardiaques en dehors de l'hôpital ont été identifiés en région parisienne, soit un taux de 26,6 arrêts pour un million d’habitants. Entre 2012 et 2019 à la même période, ce taux était de 13,4 arrêts cardiaques par million d’habitants.
90% des arrêts survenus à domicile
"Le profil des patients est le même que d'habitude : deux-tiers d'hommes, autour de 69 ans", indique à l'AFP le professeur Eloi Marijon du Centre de Recherche Cardiovasculaire de Paris, principal auteur de l’étude.
En revanche, poursuit le cardiologue, plus de 90% des arrêts ont eu lieu à domicile, avec des témoins, le plus souvent la famille, qui commençaient beaucoup moins un massage cardiaque, et des secours plus longs à arriver malgré les routes vides.
Or d'après des études antérieures de cette équipe, les personnes qui font un arrêt cardiaque ont huit fois plus de chances de survivre lorsqu'un témoin est en mesure de pratiquer rapidement une réanimation cardio-respiratoire, dont les massages cardiaques. Conséquence, la survie a été deux fois plus faible à l'arrivée à l'hôpital : sur la période étudiée, seuls 12,8 % des patients identifiés étaient vivants à l'arrivée à l'hôpital, contre 22,8 % à la même période les années précédentes.
Saturation des hôpitaux, stress, médicaments…
Mais quel est le lien entre cette hausse des arrêts cardiaques et le coronavirus ? Selon l’étude du Lancet Public Health, seul un tiers environ de ces arrêts cardiaques "supplémentaires" enregistrés pendant le pic de l’épidémie serait directement associé au Covid-19.
Pour expliquer les autres deux-tiers, les chercheurs avancent plusieurs hypothèses donc une saturation du système de soins, une médecine de ville peu ou pas accessible et une augmentation du stress lié à la période particulière.
"Il y a eu rupture du suivi médical des patients, parce qu'ils n'ont pas pu consulter, qu'ils ont craint de gêner, d'où un retard à l'appel, ou peur, pour certains, d'être contaminés à l'hôpital" détaille le Pr Marijon. Il évoque ainsi le suivi moins régulier des cardiaques, voire, "peut-être aussi dans un petit nombre de cas" d'éventuels effets délétères de médicaments pris par les patients pour traiter la maladie Covid-19. "Il y a eu probablement des difficultés à joindre les secours, le 15 (Samu) et le 18 (pompiers) avec des temps d'attente plus importants", ajoute-t-il.
Des "décès collatéraux" du Covid-19
"Cette augmentation de l'incidence des arrêts cardiaques extra-hospitaliers met en évidence les décès collatéraux, non pris en compte dans les statistiques de décès de Covid-19", selon les auteurs. Des chiffres qui devraient être pris en compte à l'avenir dans les stratégies de santé publique, affirment-ils.
Ainsi, les résultats de l'étude "permettent de mieux appréhender les conséquences de cette crise, les leçons à tirer, également pour mieux réagir en cas de deuxième vague" estime la docteure Nicole Karam, co-autrice de l’étude. Elle juge encore "nécessaire de trouver un équilibre" entre la prise en charge de l'épidémie et le suivi des autres malades.
Les consultations reportées inquiètent les cardiologues
Et la région parisienne n’a pas été la seule à enregistrer une hausse des arrêts cardiaques. De telles observations ont été noté à New-York, en Californie, et en Italie, en particulier en Lombardie.
Dans ces différentes régions du monde, les cardiologues se sont déjà alarmés des dommages collatéraux de l'épidémie et du confinement en voyant arriver des patients atteints d'infarctus avec complications, qui ont repoussé leur visite ou n’ont pas consulté alors qu’ils ressentaient des douleurs suspectes dans la poitrine.
Autre inquiétude des spécialistes : les femmes, qui ne consultent toujours pas alors que le stress du confinement et de l’épidémie a mis à mal leur santé cardiaque, alertait la professeure Claire Mounier-Vehier, cardiologue au CHU de Lille et présidente de la Fédération Française de Cardiologie invitée du Magazine de la Santé.