L'absinthe, l'alcool qui rend fou
Zola, Verlaine, Van Gogh, Degas… Au XIXe siècle, l'absinthe était une muse, à la réputation sulfureuse, qui inspirait de nombreux artistes. À l'époque, on prêtait à ce spiritueux tous les maux, notamment celui de rendre fou. Les ligues antialcooliques ont mené campagne contre elle et l'absinthe est la seule boisson à avoir été entièrement interdite en France. Une interdiction qui fête en 2015 ses 100 ans.
C'est une belle plante au charme toxique, qui au XIXe siècle a fait tourner plus d'une tête. Une liqueur enchanteresse couleur vert trouble. Il s'agit de l'absinthe. À l'époque, celle que l'on appelait la fée verte fait fureur dans les salons bourgeois mais dans les assommoirs, elle fait aussi des ravages.
Petit à petit la boisson s'est popularisée. Dans les bistrots, elle est sifflée pure et servie directement au verre. Au début du XXe siècle, absinthisme rime avec alcoolisme. Et en France, s'étend le "péril vert". Sa toxicité, l'absinthe la doit à la thuyone, une molécule présente dans la plante. Concentrée dans l'alcool, elle contient des propriétés convulsivantes.
En 1907, Georges Clemenceau encourage même les médecins à étudier les effets de cette boisson dans leurs asiles psychiatriques. Car l'absinthe cause d'après lui une folie bien spécifique. "Les médecins chefs très réglementairement, très obéissants, ont à ce moment-là produit des statistiques montrant que plus de 20% des fous étaient d'origine absinthique et qu'il fallait absolument condamner la consommation d'absinthe qui rendait fou. C'était d'ailleurs le slogan de l'époque. L’absinthe rend fou. Elle fait de l'homme une brute, de la femme une victime et des enfants des martyrs", raconte Didier Nourrisson, historien.
Un slogan martelé par les ligues antialcooliques. Crimes, viols, suicides… au début du XXe siècle, l'absinthe est accusée de tous les vices. La ligue nationale publie des affiches, organise des conférences, et tracte jusque sur les bancs de l'école.
En 1915, la consommation d'absinthe est finalement interdite. Une victoire pour la lutte contre l'alcoolisme, mais une victoire teintée d'amertume comme l'explique Didier Nourrisson : "C'est une victoire à la Pyrrhus puisqu'on a supprimé la liqueur d'absinthe mais on a autorisé le lancement des similaires d'absinthe et donc d'une nouvelle gamme de produits assez semblables tout de même et cela n'a absolument pas fait reculer le problème de l'alcoolisme en France".
Il faudra attendre 96 ans pour que l'absinthe soit à nouveau autorisée en France. Aujourd'hui son taux de thuyone a été limité, mais son degré d'alcool reste toujours aussi élevé. Et si la fée verte ne suscite plus l'enthousiasme, elle est tout de même restée une curiosité.