Privatisation de la Française des Jeux : un risque accru d’addiction ?
L’entrée en bourse de la Française des Jeux pose de nouvelles questions de santé publique. Elle interroge notamment sur la liberté de régulation par l'Etat des jeux addictifs et sur la protection des joueurs dépendants.
La privatisation de la Française des Jeux (FdJ) est lancée. Depuis le 7 novembre, et jusqu’au 19 novembre, il est possible pour les particuliers et pour les entreprises d’acheter des parts dans cette société. Mais quelles conséquences cette entrée en bourse va-t-elle avoir sur l’encadrement des jeux compulsifs et sur la santé des joueurs dépendants ?
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Chiffre d’affaires contre santé publique
Avant cette privatisation, l’Etat avait une double casquette, occupant à la fois la fonction d’actionnaire et celle de responsable de la santé publique, soit deux rôles aux intérêts divergents. Cela l’obligeait à trouver un juste milieu entre l’augmentation du chiffre d’affaires de la FdJ et l’encadrement de l’addiction des joueurs, ce qui passe notamment par la régulation et la limitation des jeux d'argent susceptibles de devenir trop addictifs.
C’est cette recherche d’équilibre qui avait d’ailleurs poussé l’Etat à interdire en 2014 le jeu de grattage Rapido, considéré comme 'trop addictif", rappelait un amendement proposé par des députés socialistes et rejeté par l’Assemblée nationale en 2018 sur la participation financière de l’Etat.
"1% d’augmentation du chiffre d’affaires génère 1.000 joueurs pathologiques"
Mais une telle décision serait-elle aujourd’hui envisageable à l’heure où l’intérêt des actionnaires se situe dans leur profit plutôt que dans la santé des joueurs ? "Que pèsera la défense du jeu responsable par les dirigeants de la FdJ face à la tentation des actionnaires de maximiser leurs dividendes ?" interrogeaient les députés auteurs de l’amendement.
Car "la progression de 1 % du chiffre d’affaires de la FdJ génère a minima 1.000 joueurs pathologiques et 6.500 joueurs à risque de plus et en conséquence un coût social très important : chômage, divorce, dégradation de l’état de santé, surendettement, dépression, suicide..." alertaient également les députés.
Financer la prévention et les soins
Malgré la privatisation, "il serait toujours possible d’interdire un jeu et de faire respecter une loi", affirme de son coté le docteur Hervé Martini, médecin addictologue au CHU de Nancy membre de l’ANPAA*.
Mieux, cette séparation plus nette du "double jeu" de l’Etat pourrait aussi avoir un côté positif, selon ce médecin. "Dissocier le côté économique du côté sanitaire dans les jeux d’argent pourrait avoir des conséquences positives, à condition que l’Etat finance convenablement la prévention, les soins, l’accompagnement et le repérage des personnes à risque de comportement addictif ", précise le docteur Martini.
De même, bien que l’Etat reste actionnaire de la FdJ à hauteur de 20% du capital (contre 72% avant la privatisation), cette mesure pourrait aider à "clarifier son rôle" et lui permettre, plus librement, de "mieux réglementer la publicité pour les jeux d’argent qui est actuellement envahissante" et de "définir des objectifs de santé publique concrets".
Surveiller les jeux autorisés
Mais sa position d’addictologue invite tout de même le docteur Martini à la prudence : "Nous devrons être vigilants quant au caractère addictogène des jeux autorisés par la FdJ et veiller à l’absence de dérégulation des jeux d’argent" note-t-il. En somme, "le ministère de la Santé et celui de l’Economie devront s’écouter, comme pour le tabac" conclut l’addictologue.
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*Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie