Covid-19 : "J'ai l'impression d'avoir vécu un tsunami"
Horaires à rallonge, manque de moyen, épuisement, peur de mourir… la lutte contre le coronavirus est à l’origine de traumatismes psychologiques importants chez les professionnels de santé. Certains ont accepté de se confier.
Dans cet Ehpad, la vie post-covid reprend ses droits jour après jour. Mais il y a toujours le risque d’une nouvelle vague et Laurent Garcia, cadre de santé, le rappelle chaque matin à ses équipes. « On attend, on est dans l’attente et on sait que là, la canicule va arriver, plus le covid qui est toujours là à gérer. C’est hyper compliqué. »
Fatigue morale
Laurent Garcia reste aujourd'hui très éprouvé par les semaines qui viennent de s’écouler.
«Quand vous pouvez pas protéger les gens que vous aimez, c’est pas possible quoi, c’est juste impensable. La crainte, c’était que les équipes chopent le covid, le transmettent aux résidents et que ce soit une hécatombe comme il y en a eu dans pas mal d’ Ehpad.»
Ici, l’hécatombe n’a jamais eu lieu. Aucun résident n’a attrapé le coronavirus et seulement 5 salariés sur 40 l’ont contractés. Un bilan plutôt positif mais aux lourdes conséquences psychologiques.
« J’ai l’impression d’avoir vécu un tsunami. Je suis fatigué moralemet, je pleure pour un oui pour un non, j’ai des moments d’angoisse. On en ressortira pas indemme de cette période et on a surtout pas envie de la revivre une deuxième fois »
Un soutien téléphonique aux soignants traumatisés
Laurent Garcia est épuisé et il n’est pas le seul. L’association SPS qui propose un soutien téléphonique aux soignants a vu son nombre d’appels exploser pendant cette crise : 200 chaque jour au pic de l’épidémie contre 5 habituellement. Au bout du fil, des professionnels de santé qui décrivent souvent les mêmes traumatismes psychologiques. Et certains impacts psychologiques sont communs à beaucoup de professionnels de santé.
« Le premier impact, c’est l'émergence de la maladie qui peut vous tuer. Vous êtes soignant, vous n'êtes pas habitué. Ça, ça vous choque. Le deuxième, c’est ceux qui ont peur et qui disent "je vais pas aller travailler parce que je vais intoxiquer tout mon entourage. Sur ceux-là va s’installer une culpabilité après. Ensuite, c’est ceux qui ont vu les morts. Chez ceux qui ont vu les morts va s'installer, dans le temps, un syndrome post-traumatique.» explique le Dr Eric Henry, président SPS.
« On décide qui, humain, va vivre ou mourir »
Cet infirmier de 29 ans souffre d’un syndrome post-traumatique. Pour nous raconter ce qu’il a vécu en service de réanimation Covid dans un hôpital public, il a préféré garder l’anonymat par peur d’être licencié. Aujourd’hui, il dénonce un manque de moyens humains et matériels qui l’ont contraint à pratiquer une médecine de guerre. Il a laissé certains patients agoniser et il reste hanté par ce jour où il a fallu choisir entre un homme d’une cinquantaine d’années et un jeune patient de 26 ans.
« On a décidé de débrancher la personne la plus âgée parce que ça faisait trois semaines qu’elle était intubée et qu’on lui voyait peu d’issue. On l’a laissé mourir, nous, humain. On décide qui, humain, va vivre ou mourir. J'ai emballé le corps dans un drap que j’ai mis dans une bâche mortuaire, puis de l’eau de javel et j’ai emmené ce corps dans un frigo, comme les frigos de traiteurs et j’ai rajouté ce corps à la multitude de corps qu'il y avaient dans ce frigo et ensuite je suis revenu et j’avais un nouveau patient à accueillir. » raconte t-il très ému.
Tentation de décrocher
« C'était la première fois de ma vie que je bâclais tout. Je bâclais mes soins sur les vivants, je bâclais mes soins sur les morts et on s’oublie. Je pense qu'entre la dévalorisation personnelle et la honte de soi, cette barrière-là est très mince pour avoir envie de partir. »
Ce jeune homme bénéficie aujourd’hui d’un suivi psychologique. Il n’a plus d’idées suicidaires mais la crise du coronavirus a ébranlé son envie de rester infirmier. Il se donne un an avant de raccrocher sa blouse blanche.
Si vous êtes un soignant en détresse psychologique, vous pouvez contacter la plateforme SPS (soins aux professionnels de santé) au 08 05 23 23 36, 24h sur 24. Les appels sont anonymes et gratuits.