Virus contre bactéries : la phagothérapie réservée aux infections les plus graves
De plus en plus de bactéries deviennent résistantes aux antibiotiques. La phagothérapie pourrait être une piste pour lutter contre cette menace car les bactériophages sont des virus mangeurs de bactéries, capables de combattre les infections. Pour l'instant, ils sont interdits en France mais l'Agence du médicament (ANSM) va délivrer des autorisations temporaires d'utilisation pour y recourir de façon exceptionnelle.
Debout, sur ses deux jambes, Christophe apprécie chaque pas. Depuis des années, il lutte contre un infection osseuse, un staphylocoque doré qui ronge son fémur gauche. En 2013, après 42 interventions chirurgicales, de multiples traitements, ses médecins n'ont plus qu'une solution à lui proposer : l'amputation complète de sa jambe. Lorsqu'il a appris la nouvelle, son monde s'est écroulé : "Cela fait deux ans et demi que je vis entre les hôpitaux, les centres d'infectiologie et l'hospitalisation à domicile. Et, on m'annonce cela le plus simplement du monde sans prendre de gants".
Désespéré, Christophe se tourne vers un traitement interdit en France : les bactériophages. Présents dans la nature, ces virus sont programmés pour tuer les bactéries. Ils y injectent leur ADN pour s’y multiplier et détruire leur hôte. Cette technique est devenue la spécialité de la Géorgie. Christophe a séjourné deux semaines dans une clinique du pays pour en bénéficier. Il s'agit d'un traitement adapté, "spécifique aux germes du patient". "En parallèle vous recevez un traitement de perfusion destiné à vous doper. On découvre un monde qui n'a absolument rien à voir avec le monde médical français. On se dit qu'est-ce que je suis venu faire ici ? Je suis loin de chez moi, si jamais ça se passe mal…".
Le traitement de la dernière chance ?
Coût du séjour pour suivre ce traitement : plus de 8.000 euros, entièrement à la charge du patient. Trois ans après son passage en Géorgie, Christophe ne regrette pas son investissement. Les traces de son infection ont disparu. Pour le docteur Olivier Patey, infectiologue au Centre Hospitalier Intercommunal (CHI) de Villeneuve-Saint-Georges (94), les phages ont montré leur efficacité : "Tout est complètement cicatrisé, il n'y a absolument aucun signe inflammatoire. Plus on va avancer dans le temps, plus on sera rassurés. Mais trois ans, c’est déjà un recul très important pour quelqu’un qui avait une infection permanente, qui n’était pas du tout contrôlée par les antibiotiques".
Christophe n'est pas un cas isolé. Toutes les semaines, le docteur Patey reçoit des patients pour qui les traitements ne fonctionnent plus. Certaines infections respiratoires, osseuses ou urinaires sont en effet devenues résistantes aux antibiotiques : "On est dans une situation infernale où l'on a des produits qui ne répondent pas aux normes européennes, mais qui ne sont a priori pas toxiques car utilisés depuis plus d’une centaine d’années sans complication reconnue et avec des gens traités récemment. Cela montre bien leur efficacité mais on ne peut pas les utiliser", précise l'infectiologue.
Pour sortir de cette impasse, l'ANSM peut délivrer des autorisations temporaires d'utilisation (ATU). Une procédure d'exception pour des maladies graves ou rares, sans traitement approprié et pour un produit dont on présume l'efficacité et la sécurité en l'état des connaissances scientifiques. Une ATU a déjà été acceptée par l'agence. Trois autres sont en cours d’examen.
"Chaque cas est particulier et nous n'avons pas réglé toutes les questions avec les phages : leurs modes d’administration, la fréquence du traitement, sa durée, sa surveillance… C’est autant de questions qui sont encore en suspens, qu’il va falloir résoudre", explique le docteur Caroline Semaille, directrice des médicaments anti-infectieux à l'ANSM.
Pour l'instant, les autorisations devraient continuer à être délivrées au compte-goutte. Un seul essai clinique est en cours à l’hôpital militaire de Percy. Deux cocktails de phages y sont testés sur des brûlures infectées. L'étude se terminera en juin 2016.