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N'avoir jamais rêvé ?

Si une personne sur cinq ne se souvient que "rarement" de ses songes, tout le monde sait d’expérience ce que rêver veut dire. Enfin non, pas tout le monde : près d’une personne sur 250 est persuadée de n’avoir JAMAIS produit de rêve, ou de n’avoir plus fait le moindre songe depuis plusieurs décennies. Le cas, très peu étudié par les chercheurs, a fait l’objet d’une étude publiée mi-août 2015 par quatre spécialistes du service des pathologies du sommeil de la Pitié-Salpêtrière (Paris). Leurs travaux démontrent que ces patients, eux aussi, rêvent.

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le
Illustration : Rêve d'une jeune fille avant le lever du soleil, de Karl Brioullov (1833)

Vous rêvez peu ? De nombreuses études ont déjà montré que l’activité cérébrale des rêveurs fréquents et des rêveurs occasionnels est identique. Seule différence saillante entre ces deux groupes : l'existence de phases de micro-réveils, durant lesquelles l’information du rêve peut être transférée de la mémoire à court terme vers la mémoire à moyen terme.

Mais au moins, vous savez ce que rêver veut dire… A moins que vous ne fassiez partie des près de 0,4% de la population qui, selon les estimations de plusieurs chercheurs, affirment n’avoir plus produit de rêve depuis leur enfance, ou n’avoir tout simplement jamais rêvé.

"Ces patients ne rapportent même pas de « rêve blanc », cette vague sensation d’avoir rêvé sans se souvenir d’aucun détail, que l’on expérimente parfois au réveil", nous explique le professeur Isabelle Arnulf, du service des pathologies du sommeil de la Pitié-Salpêtrière.

"Pourtant, poursuit-elle, les IRM montrent les mêmes phases de sommeil que les autres dormeurs. Il ont une mémoire tout à fait normale, ainsi qu’une bonne représentation des images mentales (contrairement aux personnes afantasiques, qui ne peuvent pas se représenter une image les yeux fermés[1])."

Ces patients ont-ils simplement une incapacité à produire ce que l’on nomme les rêves, alors même que leur cerveau entre dans une activité qui se confond, à l’IRM, avec le songe ?

Produisent-ils des rêves ?

Dans son service de la Pitié-Salpêtrière, Isabelle Arnulf reçoit beaucoup de patients ayant un sommeil très agité. Certaines personnes présentent des troubles comportementaux parfois violents durant leur sommeil, au point de blesser leur conjoint. Il s’agit parfois d’un symptôme précoce de la maladie de Parkinson.

"Le verrou qui sépare nos pensées de nos actes, situé dans notre tronc cérébral, saute. Les scènes qu’ils vivent en rêve se traduisent ainsi en mouvements", développe la chercheuse, expliquant que ce problème de contrôle gagne peu à peu d’autres fonctions cérébrales.

"Lorsque nous recevons ces patients, nous leurs demandons toujours s’ils se souviennent de leurs rêves. Généralement, on voit que ce dont ils se souviennent correspond aux mouvements constatés par leur conjoint. Mais dans notre service, nous avons recensé huit cas de patients affirmant n’avoir jamais rêvé."

Ces non-rêveurs se sont prêtés à l’expérience d’être filmés durant leur sommeil. Les images sont étonnantes : certains agitent leurs jambes comme s’ils couraient, d’autres miment un repas, d’autres fument une cigarette imaginaire (voir ci-dessous).


Crédits : © Isabelle Arnulf, unité 1127 Inserm/CNRS/UMPC Paris 6, Institut du Cerveau et de la Moelle épinière, Paris

"L’un d’eux criait dans ses draps, courait après quelqu’un « qui lui avait volé son sac ». Il a même dû être recousu après s’être cogné la tête contre une table. Il ne se souvenait de rien. Un autre a fait tombé de très nombreux objets sur son lit, dont une cruche d’eau. Quand l’infirmière est entrée, il lui a demandé pourquoi tout était en désordre…"

La chercheuse souligne l’étrangeté de la situation : "Ils ne se rappellent de rien, alors que nous, nous savons ce a quoi ils ont rêvé. C’est un cas rare où l’on connaît la pensée de quelqu’un, alors que lui en ignore tout."

Il n'existerait pas de "non-rêveur" !

Ces observations suggèrent que tout le monde, même ceux qui ignorent ce que rêver veut dire, rêve. "Reste désormais à savoir pourquoi ils ne s’en souviennent pas. Est-ce parce qu’ils n’encodent pas l’information [dans leur cerveau] ? Ou bien est-ce que l’information est encodée, mais qu’ils ne parviennent pas à y accéder, à trouver le fil ?"

Son équipe travaille désormais à tester ces hypothèses. "Pour l’heure, nous essayons de voir si le fait de mentionner quelques éléments de leurs rêves leur évoque quelque chose…"

Nous vous rendrons compte de la suite de ces recherches dans un prochain article !


[1] Les chercheurs ignorent encore si les personnes afantasiques sont de mauvais rêveurs. Si vous êtes afantasique, votre témoignage nous intéresse !

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