Plus de lumière pour éviter la myopie ?
Un quart des Européens - et près de la moitié des 25-29 ans - sont myopes ! Tel est le résultat d'une synthèse de 15 études, portant sur près de 62.000 citoyens européens, publiée ce mois-ci dans la revue Ophtalmology. Mais attention à ne pas accuser trop vite la lecture ou les ordinateurs ! Car la véritable épidémie de myopie qui déferle sur les pays industrialisés épargne les grands lecteurs... qui passent un peu de temps dehors. Explications.
Une épidémie mondiale
L’Europe devient myope, démontre l’étude en cours de publication(1) dans la revue Ophtalmology. Dans les années 1970, 20% des Européens de 12-54 ans et 25% des Etasuniens de cet âge étaient myopes. Au début des années 2000, ce taux dépassait les 40% des deux côtés de l’Atlantique. Selon les dernières données disponibles, la tranche des 25-29 ans serait donc, en Europe, de 47%. Et plus le niveau d’études est élevé, plus le risque de développer une myopie est important.
Pourtant, le phénomène n’a pas encore atteint la même ampleur qu’en Chine où, en soixante ans, la part de myopes dans la population est passée de moins de 20% à plus de 90%...
Depuis plusieurs décennies, de multiples hypothèses ont été avancées pour expliquer cette évolution. Il existe ainsi des gènes de la myopie – fréquents dans les populations asiatiques. Mais cette composante héréditaire était incapable d’expliquer, seule, la fulgurante progression du phénomène.
Même chez les Inuits !
Une étude menée en Alaska à la fin des années 1970 dans un village inuit a montré qu’en une génération, la prévalence de la myopie était passé de moins de 2% à… près de 50% !
Trop de lecture ? Mon œil !
Un coupable fut rapidement désigné : le temps passé à lire, écrire, ou à regarder un écran. Dans toutes les études épidémiologiques publiées, une corrélation apparaît d’ailleurs entre le taux de myopie des jeunes et le nombre d’heures qu’ils passent devant leurs cahiers(2).
Sur le plan biologique, les chercheurs jugeaient plausible que la croissance du globe oculaire soit perturbée par l’analyse prolongée d’images trop rapprochées. Mais le propre d’un bon scientifique est de confronter les hypothèses les plus tentantes aux faits. En 2002, des chercheurs de l’université d’optométrie de Columbus (Ohio, Etats-Unis) ont enrôlé 514 enfants californiens, âgés de 8 à 9 ans, sans problèmes de visions particuliers. Le nombre d’heures passées à lire, regarder la télévision, utiliser un ordinateur, ou à jouer dehors fut recensé, de même que les problèmes de visions éventuels des parents. Cinq ans plus tard, 111 enfants étaient devenus myopes. Seuls deux paramètres apparurent significativement corrélés avec l’apparition de ce trouble visuel : l’hérédité et… le temps passé en extérieur.
Les résultats n’incriminaient ni la lecture, ni les écrans ! Et la tendance la plus marquée concernait les activités de plein air : les enfants devenus myopes y avaient consacré en moyenne 8 heures hebdomadaires, contre 11 heures 40 pour les non-myopes(3).
En 2008, une étude australienne portant sur plus de 4.000 enfants(4), suivis sur trois ans, sont venu affiner ces résultats. Le temps passé à faire du sport n’influait sur la myopie que s’il s’agissait d’une activité réalisée en extérieur. Peu importe la manière dont les enfants occupaient leur temps : jouer, pique-niquer ou même… lire sous un arbre ! De façon très nette, ceux qui lisaient beaucoup, mais passaient également beaucoup du temps à l’extérieur avaient un risque inférieur de devenir myope, comparés aux enfants sortant peu.
Accuser la lecture !
L’idée n’a rien de bien original : dès le début du XVIIème siècle, le célèbre astronome allemand Johannes Kepler imputait sa propre myopie "à de longues heures d’études". Mais chez l'enfant, si les livres sont lus à l'extérieur, le risque de développer une myopie n'est pas augmenté.
De l'horizon... et de la lumière !
Les activités extérieures nous offrent l’opportunité de regarder un peu plus loin que le bout de notre nez. En focalisant à des distances différentes, l’œil effectue vraisemblablement une gymnastique qui lui est très profitable.
Mais un second paramètre semble intervenir : l’exposition à la lumière. En 2009, des expériences réalisées par des chercheurs allemands ont établi qu'une exposition prolongée à la lumière ralentissait de 60% le développement de la myopie sur l’animal(5).
Face à ce constat, les chercheurs ont postulé que la lumière stimulait la libération de dopamine dans la rétine – ce neurotransmetteur jouant un rôle dans la croissance du globe oculaire. De fait, l’inhibition de la sécrétion de dopamine dans l’œil faisait disparaître les effets protecteurs de la lumière observés dans les précédentes expériences.
Courant 2009, une équipe sino-australienne a mis en place une expérience dans la ville chinoise de Guangzhou : proposer à quelques classes primaires de la ville de réaliser les 40 dernières minutes de cours en extérieur. Trois ans plus tard, environ 30% des bénéficiaires du programme étaient myopes, contre 40% de ceux qui achevaient leurs journées d’école de façon traditionnelle. D’autres études épidémiologiques menées en Asie ont confirmé l’efficacité d’une telle mesure.
Pouvoir fixer l’horizon et profiter de la lumière du jour… pour réduire le risque de survenue de myopie chez vos enfants, ne leur enlevez pas leurs livres : faites-leur lire dehors !
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(1) Increasing Prevalence of Myopia in Europe and the Impact of Education. K.M. Williams et coll. Ophtalmology, mai 2015 (en cours de publication). doi:10.1016/j.ophtha.2015.03.018. L'article, qui devait être publié le 11 mai 2015, nous a été transmis par le King's College de Londres.
(2) Cela se vérifie à l’intérieur d’une même population ou en comparant des populations différentes. L’OCDE note ainsi que les adolescents de Shanghai passent en moyenne 14 heures par semaine à faire leur devoirs, contre 5 heures au Royaume-Uni et 6 aux Etats-Unis.
(3) Il faut insister sur le fait qu’il s’agit là de moyennes : quelques enfants ayant passé jusqu’à 14 h 30 dehors chaque semaine avaient pu devenir myopes, de même que d’autres ayant passé un peu moins de 5 heures en extérieur avaient conservé leur bonne vue.
(4) 1.765 enfants de 7 ans, 2.367 de 12 ans.
(5) Leurs expériences ont été réalisées sur des poussins, des musaraignes et des singes.