Les armes "micro-ondes" excitent les molécules d’eau… et l’imagination !
PARTIE 3/4 – Depuis 2016, des diplomates canadiens et étasuniens basés à Cuba et en Chine ont développé d’étranges symptômes. L’hypothèse d’une arme "micro-ondes" a récemment été évoquée par le New York Times. Est-elle plus vraisemblable que celle de l’arme acoustique ?
Si les étranges symptômes (voir partie 1) rapportés par les diplomates nord-américains en poste à Cuba et à Canton ne sont, jusqu’à preuve du contraire, pas la conséquences d’armes ultrasoniques (voir partie 2), d’autres pistes sont évoquées par les différentes personnes en charge du dossier. L’une d’elle a eu les honneurs de la presse le 1er septembre : le recours à une arme "micro-ondes".
Rien à voir avec un dispositif qui serait dans le four de la cafétéria de l’ambassade. Le mot "micro-ondes" désigne en effet une très vaste gamme d’ondes électromagnétiques, comprise entre les ondes radios et les infrarouges. Le four de votre cuisine produit des ondes de 2,45 GHz (à l’extérieur du four, la puissance perçue est inférieure à 5 milliwatts afin de limite les risques d’effets biologiques). Ces ondes excitent spécifiquement les molécules d’eau, ce qui permet de chauffer les aliments.
Quand l'effet Frey effraie
Durant les années 1950, des chercheurs ont essayé d’identifier divers risques d’effets biologiques pour différentes gammes de fréquences et différentes puissances. L’un d’eux, Allan Frey, identifia en 1961 une gamme de fréquences qui, à forte puissance, entraînait des sensations auditives chez les volontaires [1]. Ses recherches suggèrent que certaines structures voisines de l’oreille, très légèrement excitées par les ondes, se contracteraient de façon pulsatile, engendrant une perception auditive. Dans certaines de ses expériences, d’autres sensations liées à l’oreille interne, comme le déséquilibre (et, conséquemment, l’apparition de nausées) ont été ponctuellement rapportées.
Toutefois, excepté à proximité de certaines antennes radios militaires, difficile de mettre en évidence "l’effet Frey" hors des laboratoires. En outre, pour diriger le faisceau d’ondes sur une cible, il faut que celle-ci soit "à vue"… Dans un article publié dans la revue Nature en 2012, Sharon Weinberger, journaliste spécialiste des questions de défense, relatait les innombrables tentatives ratées pour concevoir des armes "micro-ondes" utilisables. Elle explique qu’une arme tirant profit d’un avatar de l’effet Frey a bel et bien été expérimentée dans les années 1990, mais dût être abandonnée en raison du volume absurde du système permettant de refroidir les aimants. Au final, l’arme fut jugée incapable de faire du mal à qui que ce soit… excepté toutefois aux finances publiques.
Si les recherches militaires se sont poursuivies, leur fruit principal fut la déception. Sharon Weinberger évoque ainsi un dispositif destiné à être déployé sur les champs de bataille qui, pour pouvoir fonctionner, nécessitait d’être porté à une température de -269°C, "au terme d’un processus nécessitant 16 heures".
Une arme qui permet de passer un moment agréable sous la pluie
L’arme la plus aboutie née de toutes ces recherches est l’ADS (pour Active Denial System), sorte de tank émettant un faisceau de micro-ondes à 95 gigahertz en direction d’une foule. À cette fréquence, le rayonnement pénètre à moins d'un demi-millimètre sous la peau, pour créer une sensation de brûlure transitoire pour inciter à prendre la fuite.
Une vidéo saisissante des performances de l’ADS est souvent présentée pour démontrer les progrès de la technologie militaire sur les micro-ondes (voir ci-dessous). Il n’est toutefois pas inutile de noter que lors de la toute première présentation de l’ADS à la presse, un jour pluvieux, l’humidité ambiante avait absorbé les micro-ondes. "Les journalistes volontaires ont constaté que la chaleur produite dans ces conditions était très agréable", s’amuse Weinberger. En dépit de l’efficacité relative de l’appareil, "personne ne semble en vouloir". Là encore, "sa taille massive, sa consommation d'énergie et sa complexité technique le rendent effectivement inutilisable sur un champ de bataille."
La plausibilité d’un danger lié à des armes micro-ondes est telle que Philip Coyle, ancien directeur associé de la sécurité nationale et des affaires internationales à la Maison-Blanche, a déclaré qu’il préférerait que "les terroristes consacre tout leur temps à travailler sur [une telle arme] plutôt que sur des voitures piégées !"
Toutes les pistes ont-elles été explorées ?
Si l’on écarte les similitudes relatives avec "l’effet Frey", peu d’arguments subsisteraient en faveur de la piste d’une "arme micro-ondes" dans l’affaire des diplomates.
Interrogée par CNN, une source proche du dossier concède qu’il n’y a, pour l’heure "aucun élément concret pour appuyer" ce qui n’est "qu’une théorie".
Faut-il conclure qu’aucune piste sérieuse n’existe aujourd’hui pour expliquer les symptômes rapportés par les diplomates canadiens et étasuniens ? En réalité, une hypothèse très plausible – parce que cohérente non seulement avec l’état des connaissances scientifiques actuelles, mais également avec le contexte de l’affaire – a été avancée il y a de très nombreux mois par plusieurs chercheurs. Celle-ci fera l’objet du dernier volet de notre série.
[1] Allan H. Frey, "Human auditory system response to modulated electromagnetic energy". Journal of Applied Physiology, 1962. 17(4), pp. 689-692.