Un pneumologue jugé pour avoir menti au Sénat
C'est une première pour le Sénat et pour la justice : le pneumologue Michel Aubier sera jugé ce 14 juin à Paris pour avoir menti lors d'une audition par une commission sénatoriale sur ses liens avec le groupe Total.
Le 16 avril 2015, face à une commission du Sénat qui le recevait pour évoquer le "coût économique et financier de la pollution de l'air", Michel Aubier (ancien chef de service à l'hôpital Bichat de Paris) avait juré en levant la main droite de dire "toute la vérité, rien que la vérité". Il avait par suite nié tout lien avec des "acteurs économiques", avant de déclarer que "le nombre de cancers dans les pathologies respiratoires […] liées à la pollution [était] extrêmement faible".
Pourtant, en mars 2016, devant la même commission réunie à huis clos, il avait finalement confirmé des informations révélées par Libération et Le Canard enchaîné, à savoir qu'il touchait de 50.000 à 60.000 euros par an du groupe pétrolier Total depuis la fin des années 1990. Cela lui vaut d'être jugé pour "témoignage mensonger", comme s'il avait menti devant un tribunal. Ce délit est passible de 75.000 euros d'amende et jusqu'à cinq ans de prison.
L'avocat du pneumologue plaidera la relaxe
Le procès du pneumologue est une première à la fois parlementaire et judiciaire. Le Sénat s'est constitué partie civile dans cette affaire, tout comme les deux organisations non gouvernementales Générations futures et Écologie sans frontière.
Maître François Saint-Pierre, avocat de Michel Aubier, plaidera la relaxe : "Il n'y avait pas de conflit d'intérêts entre son intervention au Sénat et ses fonctions de médecin du travail chez Total, il n'était pas impliqué dans la production industrielle." Plus largement, il entend "critiquer durement" le fonctionnement même de ces commissions parlementaires. "Si ce sont des organes politiques, il n'y a pas de serment. Mais s'il y a un serment, alors on peut attendre des membres qu'ils se comportent comme des magistrats, avec la même impartialité", a-t-il déclaré à l'AFP, rappelant que la rapporteure de la commission, la sénatrice écologiste Leila Aïchi, s'était publiquement émue d'un "mensonge […] inadmissible."
Les ONG Générations futures et Écologie sans frontière ont réclamé "des peines exemplaires" et souhaité que "ce procès soit le début d'une prise de conscience des méfaits des conflits d'intérêt dans le domaine de la santé".
La pollution de l'air : un décès sur neuf dans le monde, selon l'OMS
Selon une estimation de 2012 de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) un décès sur neuf est attribuable à la pollution. Le nombre de décès prématurés cette année-là est estimée à 3 millions (pollution de l'air extérieur), essentiellement dans des pays à revenus faibles ou intermédiaires. Le chiffre monte à 6,5 millions en comptant également la pollution à l'intérieur des habitations.
L'impact sur la santé est multiple : asthme, allergies, affections respiratoires, voire cancers du poumon et accidents vasculaires cérébraux (AVC). C"est "la plus vaste crise à laquelle nous sommes confrontés en matière de salubrité de l'environnement", écrit l'OMS.
Selon l'institution basée à Genève, 36% des décès dus à un cancer du poumon viennent de la pollution de l'air. Les polluants les plus particulièrement ciblés sont les oxydes d'azote et les particules. Les premiers, dont le dioxyde d'azote (NO2), sont très liés aux transports, notamment au diesel. L'OMS a classé les gaz d'échappement du diesel "cancérogènes certains", et les émissions des moteurs essence "cancérogènes probables".
"Les preuves scientifiques sont irréfutables : les émanations des moteurs diesel causent des cancers du poumon", avait conclu dès 2012 l'agence pour le cancer de l'OMS (CIRC).
Les émissions d'oxydes d'azote ont baissé de 47% en 15 ans en France, grâce aux pots catalytiques, au renouvellement du parc automobile et aux normes d'émissions européennes.
Les particules, elles, sont des matières microscopiques en suspension dans l'air. Ce sont elles qui, en ville, noircissent les façades des immeubles. On distingue les PM10 (diamètre inférieur à 10 microns), provenant surtout des processus mécaniques comme les activités de construction, et les "particules fines" (PM 2,5 d'un diamètre inférieur à 2,5 microns), les plus redoutées, issues de la combustion du bois ou des carburants ainsi que des vapeurs industrielles.
En 2012, les particules fines provenaient à 58% du trafic routier à Paris, selon l'Agence de l'environnement (Ademe). L'agence Santé publique France estime que la pollution aux particules entraîne 48.000 morts prématurées par an dans le pays, soit 9% de l'ensemble des décès.
avec AFP
A l'issue de ses travaux, la commission, présidée par Jean-François Husson (Les Républicains), avait conclu que la pollution de l'air coûterait plus de 100 milliards d'euros par an à la France, en dépenses de santé, absentéisme dans les entreprises ou baisse des rendements agricoles.