35 heures à l'AP-HP : ''Nous sommes débordés et inquiets''
La nouvelle journée de mobilisation du personnel des hôpitaux de Paris a soulevé la moitié des salariés. Infirmiers, agents, aides-soignants s'unissent contre la réorganisation de leurs plages horaires. Pour Pauline et Guillaume, infirmiers à l'AP-HP, ce projet est surtout un moyen de supprimer des jours de repos, essentiels au bon suivi des patients.
La colère ne retombe pas au sein des hôpitaux de Paris… Pour la seconde fois en une semaine, la manifestation massive a réuni plus d'un millier d'employés de l'AP-HP, à l'appel de l'ensemble des syndicats. Les salariés demandent le retrait pur et simple du projet de réorganisation des horaires, proposé par Martin Hirsch. Il permettrait d'économiser près de 20 millions d'euros à l'heure où l'hôpital public est sommé de se serrer la ceinture. Le 27 mai, les négociations entre les syndicats et la direction ont échoué.
Infirmiers, agents hospitaliers, sages-femmes… À l'hôpital, le personnel a la tête sous l'eau.
"On est débordés et inquiets. Je ne connais pas une seule personne qui travaille avec moi qui est pour cette réforme, on n'y voit rien de positif " nous explique Pauline, infirmière depuis trois ans au service endocrinologie adulte de l'hôpital Bicêtre. Le projet de M. Hirsch prévoit de réduire les plages horaires journalières d'une trentaine de minutes en moyenne, tout en supprimant (ou réduisant fortement) le temps de repos et de RTT.
"Le temps de travail est déjà réduit au minimum. La réforme prévoit de nous enlever quelques minutes de travail tous les jours. Alors que je fais déjà une heure supplémentaire tous les jours, ça n'a pas de sens. Concrètement, je ne pourrais pas travailler moins… Mais je perdrais quand même mes RTT. En réalité, l'objectif est clairement que l'on reste au travail le même temps, mais en nous payant moins et avec moins de jours de repos", s'indigne Pauline, qui, en trois ans de service, n'est jamais partie à l'heure… Car entre deux gardes, les infirmières doivent impérativement se transmettre les dossiers de chaque patient, sans compter les réunions. Des heures supplémentaires qui ne sont jamais payées.
"Même si c'est écrit que l'on doit partir à une heure précise, la direction sait très bien qu'on ne partira pas sans avoir fait correctement la transmission du patient à notre collègue", précise Pauline.
La conséquence de la réforme est une perte des avantages liés aux jours de repos, indispensables pour la santé des infirmiers et des patients. "Aux urgences pédiatriques, les équipes saturent. Et plus il y a de patients comme en hiver où l'on accueille 300 enfants par jour, plus la pression est grande car c'est la santé des enfants qui est en jeu. La pression monte, avec l'agressivité et la fatigue. Les RTT sont vitales pour se reposer dans ces moments là" nous explique Guillaume, infirmier aux urgences pédiatriques de l'hôpital Robert Debré, même s'il s'estime plutôt chanceux de travailler dans un service où les effectifs de personnels sont respectés.
D'autres avantages accordés aux personnels de l'AP-HP sont petit à petit supprimés, faute de moyens. C'est notamment le cas des crèches hospitalières, qui accueillent jour et nuit, au sein de l'hôpital, les enfants des employés. Depuis le début de l'année, "le tarif mensuel est passé de 200 à 700 euros" nous précise Pauline, ajoutant qu'au sein de ses collègues "le moral n'est pas bon".
Les coupes drastiques dans le budget des hôpitaux ne pâtissent pas que sur les jours de repos du personnel, mais aussi sur l'organisation des soins et la qualité de prise en charge des patients. "On sent bien que les économies sont partout, à commencer par le matériel. Par exemple pour économiser le prix des cathéters, l'hôpital a changé de fournisseur. Mais ce nouveau matériel est plus difficile à poser, surtout chez nos patients qui ont souvent un capital veineux plus faible. On pinaille sur tout pour faire des économies, au détriment de la santé des patients", ajoute Pauline, qui explique avoir choisi ce métier pour le contact avec les malades, "et pas pour l'argent" sourit-elle.
Pauline, comme ses collègues, craint que la réforme, parce qu'elle imposera un rythme soutenu aux infirmières, crée une médecine "à la chaîne" qui risquerait de désorienter le malade. "Ca ne sera jamais la même infirmière qui s'occupera de lui alors qu'il est essentiel de tisser un lien de confiance pour que le patient ait plus de facilités à se confier" précise t-elle, avant d'ajouter que "ce n'est pas que les horaires que l'on remet en question mais aussi les soins et la confiance du patient".
Ce 28 mai, Pauline ne s'est pas mise en grève "et pourtant j'aurais aimé !". "Mais il y a un service minimum à assurer, et dans mon service on est déjà au minimum en terme d'infirmiers et de brancardiers. J'ai l'impression de ne rien pouvoir faire, à part écrire "en grève" sur ma blouse… On se sent impuissant" conclut-elle.