D'anciens ouvriers du nucléaire sur l'île Longue victimes de cancers
Plusieurs ouvriers qui ont travaillé sur des sous-marins nucléaires dans la rade de Brest se battent aujourd'hui pour la reconnaissance de leurs cancers en maladies professionnelles.
Quand on parle des victimes des bombes nucléaires, on pense souvent aux victimes des bombardements. Mais pas forcément à ceux qui ont fabriqué ces armes. C'est le cas d'anciens ouvriers de l'île Longue.
Située au large de la rade de Brest, dans le Finistère, il s'agit d'une base opérationnelle pour les sous-marins nucléaires français. Environ 150 ouvriers témoignent y avoir travaillé de 1972 à 1996 sans aucune protection. Pendant 25 ans, on leur a fait croire disent-ils, qu'ils ne craignaient rien. Aujourd'hui, plusieurs d'entre eux sont tombés malades, d'autres sont décédés... Ces anciens salariés se battent aujourd'hui pour la reconnaissance de leurs maladies.
Des ouvriers sans protection
Créée en 1970, l'île Longue est la base des sous-marins nucléaires français, véritables forces de dissuasion en temps de guerre froide. Ces hommes ont écrit une page de cette histoire. Pendant des années, ils ont assemblé les têtes nucléaires des missiles. Aujourd'hui, la réalité les rattrape, beaucoup sont tombés malades.
Louis Suignard avait à peine 50 ans quand il a déclaré un cancer de la prostate à un stade très avancé : "Personne ne pensait que c'était dangereux parce qu'on disait que ça n'émettait pas plus que du bois. On a été vraiment naïfs de croire ces personnes qui n'ont fait que nous mentir", regrette l'ancien mécanicien. Pour Francis Talec de l'association Henri Pézerat, il s'agit presque d'un "acte criminel d'avoir laissé les travailleurs sans protection pendant 25 ans".
Les retraités de l'île Longue reprochent à l'Etat d'avoir travaillé sans aucune protection et dans l'ignorance totale des risques encourus pour leur santé. Leur mission consistait à assembler les têtes nucléaires. Tous disent avoir travaillé à mains nues et équipés d'un simple bleu de travail.
Bras de fer avec l'État
Le collectif des irradiés de l'île Longue a comptabilisé 29 cas de cancers, notamment de la vessie, de l'oesophage et plusieurs leucémies. Les victimes sont toutes issues du même atelier : la pyrotechnie. Un chercheur de l'université de Bretagne mène une étude sur les anciens salariés. Il a recensé 155 personnes potentiellement exposées aux rayons sans le savoir : "C'est clairement une désinformation concernant les conditions de travail (...) Et c'est assez étonnant qu'avec des produits radioactifs, on n'ait pas pris des précautions minimales", s'interroge Jorge Munoz, sociologue.
La situation aurait ainsi perduré jusqu'en 1996, date à laquelle des mesures de protection ont été mises en place. Le ministère des Armées, contacté par nos soins, maintient avoir appliqué les mesures de prévention liées au risque radioactif et sensibilisé les travailleurs sur les risques encourus. C'est donc un bras de fer qui est engagé entre l'Etat et l'avocate des victimes. Elle se bat pour faire reconnaître les pathologies comme maladies professionnelles et a déjà obtenu gain de cause pour certains cas.
"A l'évidence, l'Etat est responsable de cette situation. Ce qu'on appelle un manquement à l'obligation de sécurité de résultat. C'est-à-dire qu'il avait conscience ou aurait dû avoir conscience des risques auxquels étaient exposés ses ouvriers. Il n'a pas mis en oeuvre les moyens suffisants pour le protéger. Et pour preuve, plusieurs cas d'expositions et de maladies liées à cette exposition, l'Etat a reconnu d'office sa responsabilité. Et lorsqu'il ne le faisait pas de lui-même, nous avons obtenu sa condamnation dans le cadre d'action en faute inexcusable de l'employeur qui avait été initiée devant les juridictions de sécurité sociale", explique Me Cécile Labrunie, avocate des irradiés de l'île Longue.
Une douzaine d'ouvriers seraient décédés à ce jour des suites d'un cancer lié à ces expositions. Le collectif des irradiés de l'île Longue se bat aussi pour ceux qui sont encore en bonne santé, victimes selon lui d'un préjudice d'anxiété.