Déontologie : quand doit-on lever le secret médical ?
Mercredi 13 janvier 2016, deux lycéens ont perdu la vie dans une avalanche. Très vite, on apprend que le professeur qui les encadrait était sorti d'un séjour en hôpital psychiatrique en novembre 2015 et prenait toujours des antidépresseurs. Cet exemple de dossier médical exposé sur la place publique interroge une nouvelle fois sur la violation du secret médical. Respecter le secret professionnel est pourtant au coeur de la déontologie du médecin. Qu'est-ce que le secret médical ? Peut-il être levé ? Dans quels cas, doit-il être levé ? Explications.
C'est au IVe siècle avant Jésus-Christ que le médecin grec Hippocrate aurait posé les fondements du secret médical dans son célèbre serment : "Admis à l'intérieur des maisons, mes yeux ne verront pas ce qui s'y passe, ma langue taira les secrets qui m'y seront confiés".
En prêtant serment avant de commencer à exercer, les médecins s'engagent à respecter le secret médical. Selon le Code de la santé publique, "le secret professionnel, institué dans l'intérêt des patients (…) couvre ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris".
Mais dans la réalité, les violations du secret médical sont quotidiennes. Le plus souvent par manque de vigilance : un dossier qui traîne, un ordinateur allumé, une information donnée au téléphone sur un patient… Et parfois certains médecins oublient même ce principe comme le confie le Pr Gilles Pialoux, chef de service maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital Tenon : "Dans les années 1990, certains ténors du sida exprimaient des personnages publics contaminés qui n'avaient donné aucune instruction pour qu'il y ait une visibilité publique de leur maladie. C'est très important et ça commence à l'intérieur de la cellule familiale du médecin. On ne partage pas le secret médical même à son mari, son compagnon, sa femme…".
Le secret médical partagé concerne uniquement l'équipe soignante qui prend en charge le patient. Mais dans certains cas, le médecin peut être confronté à un dilemme éthique, tiraillé entre la loi et sa conscience : "Le cas du sida est complexe. Un certain nombre de personnes suivies ont décidé d'opposer le secret et ils nous demandent d'opposer leur secret à leur partenaire, à leur partenaire sexuel. Cela pose dans un certain nombre de cas rares il est vrai, des problèmes assez complexes mais ce n'est pas une dérogation. Cela peut paraître paradoxal mais il n'y a pas de textes de loi qui permettent de déroger à ça car c'est une maladie transmissible (…) On essaie sans être dans la rupture d'amener le partenaire à se faire dépister sans rompre le secret médical", explique le Pr Pialoux.
Si le secret médical est absolu, c'est pour garantir la confiance entre le médecin et son patient. Mais dans certains cas prévus par la loi, le médecin doit lever le secret médical. C'est ce qu'on appelle les dérogations obligatoires : par exemple déclarer une naissance ou un décès, ou encore signaler le dopage des sportifs… Dans d'autres cas, le médecin peut lever le secret médical. Il existe une liste de dérogations permissions comme par exemple signaler des sévices sur mineurs ou personnes vulnérables ou encore signaler une personne qui détient une arme à feu.
Selon le Dr Jean-Marie Faroudja, président de la section éthique et déontologie du Conseil national de l'Ordre des médecins, "si le médecin est persuadé que par son intervention il va pouvoir éviter un drame, dans ce cas il appartient au médecin de s'affranchir de son obligation déontologique et d'en répondre devant une juridiction qui sera attentive aux circonstances de cette violation".
Faut-il allonger la liste des dérogations au secret médical ? La question se pose régulièrement. En 2015, l'affaire Andréas Lubitz défrayait la chronique. Ce pilote allemand de la Germanwings provoquait le crash de l'A320 dans les Alpes, faisant 150 morts. Ses médecins auraient-ils dû avertir l'employeur de ses antécédents suicidaires et donc violer le secret médical ? Des questions qui sont actuellement débattues : "On se pose la question de savoir si le médecin qui détient une information importante doit s'affranchir du secret médical ou non. L'Ordre des médecins pense qu'il ne faut pas rajouter des couches supplémentaires aux dérogations parce que d'une couche à une autre couche, il n'y aura plus de secret médical et il en sera fini de la relation médecin-patient", explique le Dr Faroudja.
Selon le Code pénal, en cas de violation du secret professionnel, le médecin risque jusqu'à un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende. Pour Me Bruno Lorit, avocat spécialiste du droit de la santé, le médecin devrait néanmoins pouvoir signaler le caractère dangereux d'un patient pour lui-même : "Je pense aux patients atteints d'infections neurologiques, qui ne sont plus en état de conduire leur voiture et qui lorsque le médecin leur indique qu'il faut qu'ils arrêtent de conduire expliquent qu'ils vont continuer à le faire… Dans cette hypothèse, le médecin n'a en l'état actuel du droit, aucune possibilité d'avertir le préfecture ou une autre institution de la dangerosité du patient".
Pouvoir ou devoir s'affranchir du secret médical, malgré les textes de loi, la question reste complexe. Et dans de nombreux cas, c'est au médecin de décider et donc d'engager sa responsabilité.