Haro sur les affections de longue durée
Les affections de longue durée (ALD) représentent chaque année la majorité des remboursements de l'Assurance maladie. Dans son rapport annuel sur la Sécurité sociale, la Cour des Comptes dénonce un dérapage non-contrôlé des dépenses. Les explications avec Maroussia Renard, chroniqueuse spécialisée en économie.
Le régime des affections de longue durée (ALD) a été mis en place dès la création de la Sécurité sociale, en 1945, avec l'idée que la collectivité doit prendre en charge le mieux possible les patients atteints d'une maladie chronique, qui nécessite un traitement long et cher. À l'origine, cela concernait quatre maladies et au fil du temps, la liste des ALD s'est étoffée. Aujourd'hui, ce régime concerne près de 400 maladies, des plus fréquentes comme le diabète ou le cancer aux maladies rares comme la mucoviscidose. Environ 11,3 millions de personnes sont actuellement en ALD, soit 17% des assurés.
Le coût des ALD explose
Les patients en ALD représentent un budget de 89 milliards d'euros par an, c'est-à-dire les deux tiers du total des dépenses de santé remboursées par l'Assurance maladie. Et la situation ne va pas s'arranger. Avec le vieillissement de la population et les progrès thérapeutiques, beaucoup de maladies graves se transforment en maladies chroniques.
Le risque est de se retrouver un jour avec un système d'Assurance maladie qui concentre toutes ses dépenses sur les affections de longue durée au détriment des soins courants pour tous les assurés. Mais visiblement, la situation n'inquiète pas outre mesure. Selon la Cour des Comptes, ni la Sécu, ni le ministère de la Santé n'ont jugé utile de faire des prévisions sur l'évolution du nombre de patients en ALD, ni de faire de prévisions sur les coûts futurs.
Comment limiter les coûts ?
Même si cela n'a pas été chiffré précisément, une explosion des dépenses est attendue. Pour la Cour des Comptes, il est donc urgent d'agir pour limiter les coûts. Et la première chose à faire consiste à mieux contrôler les demandes d'admission en affections de longue durée. Aujourd'hui, quand un médecin juge que son patient doit être pris en charge à 100%, il remplit un protocole de soins avec les informations nécessaires sur l'état du patient, les traitements et le suivi dont il a besoin et le tout est envoyé à la Sécu. Des milliers de formulaires atterrissent chaque jour sur les plateformes de gestion de l'Assurance maladie. De ce fait, la vérification est faite de manière quasi industrielle par des techniciens administratifs qui valident les dossiers et les transmettent par lots aux médecins conseil pour signature.
Or, selon la Cour des Comptes, l'admission en ALD est accordée de façon quasi-systématique. Par exemple, pour le diabète (ALD la plus fréquente), le taux de refus est de 1%. Il s'agit donc plus d'une procédure d'enregistrement que d'un véritable contrôle. Pourtant, la loi précise bien qu'il ne suffit pas d'être atteint d'une des maladies figurant sur la liste des affections de longue durée pour bénéficier d'un 100%. Des critères de gravité et de coût des traitements doivent aussi être appréciés au cas par cas.
Mieux contrôler la prise en charge à 100%
Être en ALD ne signifie pas que tout est remboursé. Le 100% concerne uniquement les soins qui sont directement liés à la maladie chronique (sauf les dépassements d'honoraires, ni les franchises etc). Pour faire la distinction, il existe une ordonnance spécifique : l'ordonnance bizone. Elle contient deux parties : une partie pour les prescriptions de soins, d'examens ou de traitements en rapport avec l'ALD et une seconde partie qui concerne tout ce qui n'est pas lié, donc pris en charge au tarif Sécu normal.
Problème, certains médecins ont la main un peu lourde sur les prescriptions prises en charge à 100%. Certes, il n'est pas toujours évident de faire le tri et cela prend du temps, mais depuis quelques années, il y a pour chaque ALD une liste très précise de tous les traitements, examens, soins qui doivent être remboursés à 100%. C'est la Haute autorité de santé (HAS) qui élabore ces référentiels, pas particulièrement restrictif.
Par exemple, si vous êtes en affection longue durée pour un diabète et décidez d'arrêter de fumer, vos consultations d'aide au sevrage peuvent être prises en charge à 100% parce que le tabagisme est considéré comme un facteur de risque en plus. L'application du 100% est donc assez encadrée mais il y a très peu de contrôles sur les ordonnances bizone. Or, selon la Cour des Comptes, il s'agit d'un gisement d'économies.
Changer le mode de rémunération des médecins
Selon la Cour des Comptes, le paiement à l'acte n'est pas adapté à la prise en charge des patients en ALD parce qu'ils doivent être suivis très régulièrement. Il y a inévitablement un effet inflationniste avec des consultations pas toujours indispensables. L'idée, c'est donc que les médecins ne soient plus payés pour chaque rendez-vous mais de s'orienter vers un forfait global annuel pour chacun de leurs patients en ALD (quel que soit le nombre de consultations dont il a besoin). Avec tout de même un montant variable d'un patient à l'autre en fonction notamment de son âge et du degré de gravité de sa maladie.
Ce forfait ne signifie pas que les médecins seront moins bien payés. Les économies se feront de manière indirecte. Pour la Cour des Comptes, ce forfait doit être assorti de critères de qualité des soins avec primes à la clé. Par exemple, si un médecin prescrit les examens recommandés pour prévenir certaines complications, un examen des pieds chez un diabétique par exemple, il touchera de l'argent en plus du forfait de base. Cela est incitatif pour les médecins et à terme économique pour la Sécurité sociale. Si un patient est bien suivi, il y aura moins de risques d'hospitalisations et de complications et donc au final, moins de dépenses de santé.