Hôpitaux : le financement des soins palliatifs inadapté
Une nouvelle loi a été promulguée le 2 février 2016 pour renforcer le droit des patients en fin de vie. L'aboutissement de quatre ans de débats autour de questions éthiques. Mais l'accompagnement des patients vers la mort nécessite aussi des moyens financiers importants. Or, le mode de financement actuel des hôpitaux paraît totalement inadapté à cette prise en charge. Les explications avec Maroussia Renard, chroniqueuse spécialisée en économie.
L'accès aux soins palliatifs est un droit inscrit dans la loi depuis 1999 et renforcé par la loi qui vient d'être adoptée. Tous les patients qui sont atteints d'une maladie évolutive, qu'on ne peut plus guérir, doivent être accompagnés jusqu'à la mort, pour soulager les symptômes physiques et limiter la souffrance psychique. Mais dans les faits, on en est très loin : on estime que seul un tiers de patients qui sont décédés à l'hôpital et qui auraient eu besoin de soins palliatifs en ont effectivement bénéficié.
Ces lacunes sont en grande partie liées à un problème "culturel". En France, les soins palliatifs se sont développés tardivement et ils sont encore trop souvent considérés comme le signe d'un échec de la médecine "curative". Mais au-delà de ça, les soins palliatifs souffrent aussi d'un gros problème de financement.
Le problème de la tarification à l'activité
Le problème concerne la T2A, la tarification à l'activité, qui s'applique à tous les services hospitaliers depuis 2004. Le principe de la T2A consiste à payer les hôpitaux non plus avec une enveloppe globale annuelle, mais en fonction du nombre et de la nature des actes réalisés pour chaque patient, sans vraiment tenir compte de la durée d'hospitalisation. L'objectif principal est d'inciter les hôpitaux à raccourcir les durées de séjours pour augmenter les recettes.
Dans le principe, cela paraît assez incompatible avec la prise en charge de la fin de vie. Comment peut-on raisonner en terme d'actes pour un patient à qui justement on a décidé de ne plus faire d'examens ou d'opérations ? Quel sens cela a d'essayer de raccourcir l'hospitalisation alors que l'objectif des soins palliatifs est d'accompagner le malade progressivement jusqu'à la mort ? Il s'agit d'un contresens sur le plan éthique.
Les répercussions de la T2A sur la prise en charge des patients
Concrètement, l'application de la T2A aux soins palliatifs fait que lorsqu'un patient est hospitalisé dans une unité de soins palliatifs entre quatre et douze jours, l'hôpital touchera exactement la même somme de la part de l'Assurance-maladie (un forfait de 6.142 euros). À partir du treizième jour, le budget alloué augmente un peu, mais très lentement. D'un point de vue strictement comptable, on a donc tout intérêt à faire sortir le patient au bout du quatrième jour pour en faire entrer un autre.
Et ce point de vue est celui de certains directeurs d'hôpitaux obligés de rentabiliser leurs établissements. Les spécialistes de soins palliatifs expliquent qu'il peut y avoir une pression pour faire le tri entre les patients à l'entrée de leurs services. En clair, mieux vaut refuser les malades atteints d'une pathologie qui peut évoluer pendant des mois ou des années parce que l'hospitalisation risquerait de s'éterniser (exemple : les patients avec des tumeurs cérébrales). Dans le jargon hospitalier, on parle de "bed blockers", des bloqueurs de lits.
Les effets pervers de la T2A
L'autre dérive consiste à organiser un "nomadisme" des patients de service en service parce qu'à chaque changement, c'est considéré sur le plan comptable comme un nouveau séjour, financé comme tel par la Sécu. Et s'il n'y a pas de lit disponible ailleurs dans l'hôpital, on demande parfois à renvoyer les patients chez eux quelques jours avant de les reprendre, toujours dans l'idée que plusieurs petits séjours sont plus rentables qu'un seul long. Des ruptures qui évidemment portent gravement atteinte à la qualité des soins.
Une autre effet pervers de ce mode de financement est que les équipes de soins palliatifs ne reçoivent pas toujours l'intégralité des moyens qu'ils devraient recevoir. À l'hôpital, il y a trois types de structures. Il y a tout d'abord les lits standard. Par exemple un patient arrive aux urgences pour un essoufflement, il est hospitalisé en pneumologie et on se rend compte qu'il a un cancer du poumon à un stade très évolué. Il va donc bénéficier de soins palliatifs, mais sans moyens spécialisés. La seconde possibilité, ce sont les LISP, lits identifiés de soins palliatifs, qui permettent d'accompagner les malades avec des moyens renforcés dans des services qui ne sont pas spécialisés en soins palliatifs. Enfin il y a les USP, unités de soins palliatifs, qui prennent en charge les patients en situation complexe.
À chacune de ces structures, correspond un tarif différent : plus c'est spécialisé, plus la somme perçue par l'hôpital est importante. Par exemple, si le malade est hospitalisé dans un LISP, l'Assurance-maladie verse à peu près 1.000 euros de plus que s'il est pris en charge dans un service lambda parce qu'on considère qu'il faut plus de personnel formé pour l'accompagner.
Dans les faits, les LISP, lits de soins palliatifs noyés dans d'autres services, sont très rentables. Du coup on peut être tenté d'y mettre des patients pour toucher les 1.000 euros supplémentaires, sans pour autant que cette somme soit véritablement utilisée pour payer du personnel en plus et améliorer l'accompagnement de la fin de vie. Il s'agit d'un effet d'aubaine utilisé parfois pour combler les déficits de certains établissements, au détriment évidemment des malades.
Faut-il changer le mode de financement des soins palliatifs à l'hôpital?
Même si la T2A est sans doute la moins mauvaise des solutions pour maîtriser les dépenses de santé - et on en a vraiment besoin - elle paraît clairement inappropriée à la fin de vie. La difficulté est d'inventer un autre système. En attendant, on pourrait commencer par mieux contrôler les budgets pour que les sommes allouées aux soins palliatifs ne soient pas utilisées à d'autres fins.
Il faudrait surtout que les pouvoirs publics investissent davantage dans la médecine palliative. Au-delà du "bien mourir", fondamental pour chacun d'entre nous, il a été clairement démontré que l'utilisation précoce des soins palliatifs permet d'éviter l'acharnement thérapeutique, la dernière chimio qui ne sert à rien et qui coûte 15.000 euros. C'est sans doute un meilleur moyen de faire des économies à l'hôpital…