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Deuil périnatal : ces parents qui trouvent refuge sur les réseaux sociaux

Grâce à Internet, ce drame intime s'expose de plus en plus dans la sphère publique. Une psychiatre et un psychologue nous aident à décrypter ce phénomène.

Lucile Boutillier
Rédigé le

« Nous t’aimerons toujours. » Ce sont les mots adressés par le chanteur américain John Legend et son épouse Chrissy Teigen, mannequin et présentatrice, à leur fils Jack, mort à la naissance le 1er octobre. Le couple a été vivement critiqué pour avoir partagé des photos de la perte de leur bébé mort-né sur les réseaux sociaux.

Pourtant, ce couple endeuillé n'est pas le seul à témoigner. Le compte Instagram @a_nos_etoiles en a fait sa ligne éditoriale et compile des citations de parents qui vivent ce drame. Alors, comment expliquer ce choix d'exposer sa douleur sur les réseaux sociaux ?

Lucy Joly, psychiatre spécialisée en deuil périnatal, explique que 25% des parents confrontés à une perte périnatale présentent des difficultés émotionnelles. On parle de perte périnatale lorsqu’un bébé meurt entre 22 semaines d’aménorrhée, soit 5 mois de grossesse, et 7 jours de vie.

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Un deuil particulièrement solitaire

C’est ce qui est arrivé à Delphine R en 2009. Agée de 21 ans à l’époque, elle perd sa fille vers 22 semaines de grossesse. « Une fois qu’elle n’était plus là, personne n’osait en reparler », déclare-t-elle avec des sanglots dans la voix. « Pour autant, ça reste un bébé, même toute petite, avec ses doigts, ses petits ongles, ses cheveux, avec un prénom … » 

Selon Lucy Joly, il est difficile de comprendre un deuil périnatal lorsqu’on n’en a pas vécu. « C’est différent d’un deuil habituel, » explique la psychiatre, « car contrairement à la perte d’un adulte où on perd un passé, on perd un futur et on n’accède pas à l’état de parent auquel on s’était préparé. »

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Partager la souffrance pour alléger l’épreuve

« J’ai fait une dépression », raconte Delphine R. « La seule chose qui me faisait du bien, c’était d’aller sur des forums de discussion et d’en parler à des mamans qui vivaient la même chose. » Ces autres mères en deuil lui apportent du réconfort. Leur situation similaire à la sienne lui permet de « pouvoir dire sans tabou que ça fait mal, pouvoir parler de son bébé. »

Michael Stora, psychologue des mondes numériques, explique que les réseaux sociaux peuvent permettre aux parents endeuillés de trouver une « communauté » afin de partager leur douleur et de se sentir moins seuls. « Mais ce n’est pas suffisant : le deuil n’est pas oublier, c’est vivre avec. Certains n’arrivent plus à vivre avec, ça fait partie des choses complètement insoutenables. »

C’est pourquoi Lucy Joly rappelle qu’un suivi psychiatrique ou psychologique peut beaucoup aider. « Dès le moment où on a des troubles du sommeil ou une perte d’appétit, il faut aller consulter. En France, on ne va pas assez consulter les psychologues et les psychiatres », regrette-t-elle. « Il ne faut pas hésiter à demander de l’aide, » assure la psychiatre. Mais il peut être difficile de consulter : les tarifs et les délais d'attente pour un rendez-vous peuvent décourager plus d'un patient.

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« Une trace de son passage »

A partir de 22 semaines d’aménorrhée, si le bébé décède, il est possible d’inscrire l’enfant sur le livret de famille et d’organiser des obsèques. Une décision qu’a prise Delphine : « Cela m’a semblé important qu’elle ait un prénom, Gabrielle. Comme une trace, une preuve de son passage. Une preuve qu’elle a existé. »

Lucy Joly connaît ce sentiment qu’elle retrouve chez la majorité de ses patientes. « Ce que verbalisent le plus les mamans que je suis, c’est de ne pas avoir de souvenir, de trace de ce bébé. C’est comme s’il n’avait pas existé. C’est d’autant plus difficile à vivre pour elle. »

« Pour ne pas perdre pied »

Les réseaux sociaux et Internet ont beaucoup aidé Delphine à partager sa peine. « Cela m’offrait un espace de parole, j’aurais eu besoin de trouver ça quelque part de toute façon », raconte-t-elle. « C’est important d’accepter que les gens puissent avoir besoin de dire, de montrer. C’est une façon de dire qu’on n’oublie pas, bien sûr que je ne peux pas oublier. Une façon de faire vivre ce qui s’est passé, voire de juste rappeler aux gens que ça compte encore, même après tout ce temps. »

Pour cette mère de trois autres enfants, l’utilisation des réseaux sociaux a été salvatrice. « Je pense que ça m’a aidée à ne pas complètement perdre pied, à ne pas perdre contact avec la réalité. Je me sentais coupée du reste du monde, c’était vraiment une échappatoire », raconte Delphine.

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Un deuil reconnu récemment

La vision du deuil périnatal a beaucoup changé depuis les années 80, selon la Dr Joly. « Le fait de perdre un bébé pendant la grossesse n’était pas reconnu comme un drame », explique la psychiatre.

« On pensait que le lien entre parents et bébé ne commençait qu’après la naissance », continue la psychiatre. « On faisait passer les choses le plus silencieusement possible. Là, cette vision change un peu avec l’apparition des réseaux sociaux. »

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Un nouveau rituel ?

« Le deuil est une chose invisible, le fait de vouloir le partager sur les réseaux sociaux est peut-être une manière de montrer, de hurler qu’on a besoin de partager et qu’il y ait une reconnaissance sur l’inacceptable », analyse le Dr Michael Stora. « Car c’est inacceptable de perdre son bébé (ou son enfant en général). Est-ce que c’est une nouvelle forme de rituel ? »

Toutefois, le psychologue tient à rappeler que partager sa peine sur Facebook ne suffit pas : « Les réseaux sociaux ne sont pas des thérapeutes. Recourir aux réseaux sociaux n’est pas suffisant pour s’en sortir dans la plupart des cas. Ils peuvent être une tribune, soulager un peu la colère sur le moment. Mais je ne crois pas que ça va véritablement enlever la peine.  »

Une peine que Delphine connaît toujours. « Il reste une énorme blessure évidemment. Mais dans la vie de tous les jours, je suis heureuse, sereine, mes enfants vont bien … La blessure ne guérira jamais, mon deuil est fait. Mais on ne tourne pas cette page-là. » Depuis 2009, elle a eu trois autres enfants, mais « Gabrielle restera toujours mon premier bébé. »

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