Greffe de tête : exploit médical ou projet fou ?
Et si la greffe de tête devenait réalité ? La question semble tout droit sortie d'un scénario de science-fiction et pourtant, la prouesse d'une transplantation de tête pourrait devenir possible. Les explications avec Géraldine Zamansky, journaliste au Magazine de la santé.
Il s'agirait plus exactement d'une greffe de corps car c'est le cerveau, la tête, qui recevrait un nouveau corps comme d'autres reçoivent déjà un nouveau codeur. Une équipe internationale travaille actuellement sur ce projet. Cette équipe comprend "officiellement" surtout un chirurgien orthopédiste chinois, le Dr Xiaoping Ren, un neurochirurgien italien, le Dr Sergio Canavero, et un jeune vétérinaire sud-coréen, le Dr Yoon Kim.
Les prémices d'un projet fou
Pour le Dr Sergio Canavero, tout a commencé au lycée lorsqu'il a entendu parler des travaux du Dr Robert White. Ce neurochirurgien américain aurait aimé pouvoir sauver un ami du cancer en lui offrant un corps dépourvu de cellules malades. Il s'est donc lancé dans l'aventure de la greffe de corps. Ses premiers travaux sur un singe ont provoqué un tel retentissement en 1970 qu'ils sont arrivés jusqu'aux oreilles du jeune Sergio Canavero qui a rêvé de participer à cette aventure. Mais le temps que l'élève devienne neurochirurgien, il était trop tard pour reprendre ces travaux avec le maître.
Mais le Dr Sergio Canavero n'a pas abandonné. En 2013, il publie son premier article sur son projet de "suture" de la tête (en anglais, Head Anastomosis Venture, HEAVEN autrement dit le paradis). Cette même année, le Dr Canavero rencontre le Dr Xiaoping Ren. Ce chirurgien a alors déjà commencé à tenter des greffes de tête de souris dans son université chinoise après des années de formation aux Etats-Unis, où il a notamment participé à la première greffe de main. Quant au vétérinaire coréen, le Dr Yoon Kim, il a contacté Canavero après avoir lu son article. Il avait 32 ans et venait de finir son doctorat en neurosciences. Au début, il reconnaît que tous ses collègues l'ont traité de fou. Mais leur attitude a changé depuis qu'il a publié en 2016 un article dans Surgery, une revue internationale.
A priori, il est impossible de faire vivre ensemble un corps et une tête dont les moelles épinières ont été coupées. Quand cet axe vital du système nerveux central est sectionné, c'est "mort", les ordres ne passent plus, c'est la paralysie assurée. Mais un film accompagne l'article. Sur cette vidéo, on observe que la moelle épinière d'une souris est entièrement sectionnée. Mais dans les semaines qui suivent, la souris retrouve des mouvements. C'est progressif et incomplet mais la souris n'a pas bénéficié de tous les dispositifs qui sont en train d'être mis au point pour l'homme. Le Dr Kim a seulement utilisé un produit qui stimule la régénérescence des cellules nerveuses appelé PEG. Quelques gouttes ont été déposées au niveau de la section. Il s'agit ainsi d'une première preuve de la possibilité d'une reconstruction par simple apposition des deux parties de la moelle épinière sectionnée. Ces souris peuvent vivre plus d'un mois.
Une greffe de tête réalisée chez le singe
En Chine, le Dr Ren a lui tenté une greffe de tête sur le singe. Pour le Dr Canavero, il s'agissait juste de confirmer les découvertes du Dr White sur la possibilité du cerveau à survivre à la greffe quelques heures, mais rien de plus. L'intervention a tout de même été réalisée avec une nouvelle procédure. Un branchement croisé a été réalisé entre les carotides de la tête et celles du futur corps pour que le cerveau soit toujours irrigué.
La tête "greffée" avait été préalablement refroidie, une technique maintenant bien établie pour ralentir l'activité du cerveau et le protéger. Le singe est resté plongé dans le coma 24 heures après la greffe. L'activité de son cerveau a été contrôlée par un électroencéphalogramme qui n'a montré aucun signe de dégâts importants. L'autopsie n'a pas révélé de lésion liée à un rejet immunologique par exemple.
À quand la première greffe de tête humaine ?
Plusieurs autres dispositifs ont été mis au point aux quatre coins du monde ces dernières années et mois. L'un d'entre eux, un "bistouri" extrêmement spécial, doit réaliser la section la moins traumatisante possible pour les cellules nerveuses. Surtout pour celles d'un réseau "neuromoteur" parallèle à notre principal circuit de commande. Ce circuit a été identifié pour la première fois par un Français, le Pr Laruelle, dans les années 1930. Le Dr Canavero a découvert ses travaux et les a reliés à d'autres recherches, avec surtout des exemples de patients dont il avait fallu retirer chirurgicalement quelques centimètres de moelle blessée et qui ont pu retrouver une mobilité malgré tout. Ces mouvements seraient permis par ce "deuxième réseau", capable de refaire des connexions autour de la blessure. C'est sur lui que le Dr Canavero compte pour que le nouvel ensemble "tête et corps" reprenne vie.
En 2015, il avait annoncé la date de Noël 2017. D'après lui, l'équipe chinoise est tellement avancée qu'ils y parviendront peut-être. Le volontaire est un homme de 62 ans paralysé à la suite d'un accident il y a six ans. Le Dr Ren et ses collègues ont commencé à s'entraîner sur des cadavres humains. Et le Dr Canavero insiste sur cette formation : tous les chirurgiens qui s'engageront dans ce projet devront suivre un cursus de deux ans pour maîtriser toutes les étapes.
Un projet qui soulève des questions éthiques
Le Dr Canavero évalue à 50 millions d'euros le coût de cette aventure en Europe. Il fait donc appel aux grandes fortunes internationales, en rappelant que cela n'est sûrement pas impossible au regard des salaires des footballeurs de haut niveau. En tout cas, les chirurgiens ne manqueraient pas à l'appel. Il y en aurait déjà une cinquantaine. Pour l'instant, il leur a suggéré de garder l'anonymat pour les préserver de toutes les attaques qui fusent encore sur ce projet.
Ces attaques sont nombreuses et portent notamment sur des questions éthiques. L'équipe ne les nie pas. Par exemple, qui opérer ? Uniquement lorsque la vie est menacée par une maladie dégénérative ? Des personnes paralysées ? Et du côté du don, pareille greffe sauverait "une seule vie" et non plusieurs si les organes étaient séparés. Ensuite, si la mobilité était vraiment restaurée, comment le cerveau s'approprierait-il ce nouveau corps ? S'il avait des enfants, ce serait génétiquement ceux du donneur... L'équipe souligne la nécessité d'un suivi psychologique important mais cela suffirait-il pour accompagner cette incroyable chirurgie ?