#BalanceTonHosto : le hashtag explosif des soignants
En janvier, sur Twitter, le hashtag #BalanceTonHosto a été pris d’assaut par les soignants, qui s’en sont servi pour dénoncer des conditions de travail déplorables.
Tout est parti d’un tweet absurde posté le 12 janvier par François, chirurgien hospitalier, alias Primum Non Nocere. Sur une photo, une boîte de trois balles de tennis, entières, et une autre de quatre balles, coupées en deux. "Une allégorie de la gestion des problèmes de lits à l’hôpital public", s’amuse François, qui agrémente sa plaisanterie noire du hashtag #BalanceTonHosto. Et en profite pour dénoncer, dans d’autres tweets, pêle-mêle, les absurdités de son service.
L’expression est directement inspirée du hashtag #balancetonporc, lancé par la journaliste Sandra Muller. En octobre dernier, celle-ci avait invité les femmes victimes de harcèlement sexuel, d’agressions sexuelles ou de viols à témoigner sur Twitter. "S’il n’y avait pas eu #balancetonporc, il n’y aurait pas eu #BalanceTonHosto", explique François à Allodocteurs.fr.
Petit à petit, les langues se délient
En quelques jours, en France, le hashtag devient un trending topic – un sujet sur lequel les internautes tweetent énormément et de manière simultanée. Jamais François n’avait imaginé que cela allait prendre une telle ampleur. "Je suis très surpris. J’ai l’impression de ne plus contrôler la créature", confie-t-il à Allodocteurs.fr.
Très vite, #BalanceTonHosto perd en effet sa dimension humoristique, et des internes, des médecins, des infirmières et des aide-soignants s’en emparent afin de dénoncer les dysfonctionnements de leurs établissements. Petit à petit, les langues se délient, et de graves manquements sont mis au jour. "C’est bien que ceux qui n’ont pas la possibilité de faire remonter les choses autrement s’emparent de ce hashtag", estime François.
Cause directe de ces mauvais traitements infligés aux patients : les faibles effectifs. "On manque énormément de soignants et de médecins" explique Guillaume, interne en cardiologie, que le succès de #BalanceTonHosto ne surprend aucunement. "Les internes sont utilisés comme des bouche-trous. Grâce à eux, on évite de payer des médecins." Sabrina Ali Benali, qui évoque de son côté "une administration qui voit le soin comme un tableau Excel", confirme : "Les internes gagnent 1600 euros par mois en 1er semestre pour 70 heures par semaine, c’est moins qu’un poste de secrétaire, on n’est pas au SMIC horaire."
"C’est comme une cocotte-minute qui va exploser."
Si beaucoup expliquent cette situation de crise par une déconnexion totale entre l’administration et les soignants, pour Sabrina Ali Benali, cela va plus loin : "Ce hashtag n’alerte pas les pouvoirs publics, ils sont déjà au courant ! D’après une enquête de l'Intersyndicale nationale des internes (ISNI), 20 % des participants prennent des antidépresseurs, et selon une autre enquête de la Fédération nationale des étudiants en soin infirmiers, 85 % des étudiants de troisième année se déclarent en détresse psychologique." Plus qu’une façon d’alarmer, #BalanceTonHosto est pour elle un véritable moyen de pression : "C’est comme une cocotte-minute qui va exploser."
Selon Guillaume, ce ras-bol général brise une omerta largement répandue dans le milieu hospitalier. "On n’a pas l’esprit à se révolter, c’est notre formation. Il y a aussi cette idée admise que nous sommes là pour souffrir, parce que ceux qui ont occupé notre place avant nous ont souffert", admet-il. "Jusqu’à présent, les soignants n’osaient pas parler de leurs conditions de travail. Mais la honte est en train de changer de camp", analyse Sabrina Ali Benali, interne en médecine à l’AP-HP, qui a elle-même utilisé le hashtag. Un clin d’œil volontaire, là encore, au phénomène #balancetonporc et à la libération de la parole des femmes.
Face au succès rencontré par #BalanceTonHosto, le réseau CHU s’est vu dans l’obligation de réagir. Aussi la commission communication a-t-elle pris une initiative bien particulière… celle de répliquer par d’autres hashtags. Voilà comment #FierDeMonHopital, #JaimeMonCHU ou #JaimeMonHopitalPublic ont vu le jour. Pour le moment, ils n’ont été repris que par les principaux intéressés : les CHU français. Ce qui a fait ironiser quelques twittos.
"C’est un peu triste", estime Sabrina Ali Benali. Pour elle, "c’est presque une forme de panique de la part de l’administration de Mme Buzyn". Mais François relativise la réaction du réseau CHU. Il l’affirme : "Il faut reconnaître les choses qui marchent", même si dans ce "système qui fonctionne, il existe une vraie souffrance". Le chirurgien insiste : les risques "d’hôpital-bashing" sont là, et il ne faut pas tomber dans ce piège. "Ce n’est pas mon but. Chacun doit avoir à l’esprit que plus une structure est grande, plus il y a d’incohérences", résume-t-il. "Mais encore une fois, c’est comme avec #balancetonporc", ajoute François. "Quand des femmes racontaient qu’on leur avait mis une main aux fesses, par exemple, on leur disait que ce n’était pas grave, qu’il y avait pire."