USA : une bactérie résistante à un antibiotique de dernier recours
Une bactérie ultrarésistante, responsable d'une infection urinaire chez une patiente américaine, s'est révélée insensible à l'action de la colistine, un antibiotique de dernier recours, d'après une étude publiée le 25 mai 2016 dans une revue médicale américaine. Cette découverte renforce l'inquiétude concernant l'antibiorésistance, véritable problème mondial de santé publique.
Une femme de 49 ans s’est présentée dans un hôpital américain avec une infection urinaire. L’analyse du prélèvement d’urine a révélé une souche bactérienne d'Escherichia coli (E. coli) résistante à un grand nombre d'antibiotiques, y compris à la colistine, antibiotique de dernier recours dans ce genre de cas, selon une étude publiée dans la revue médicale Antimicrobial Agents and Chemotherapy, jeudi 26 mai 2016. Les chercheurs n'ont pas identifié comment la pateinte avait pu être contaminée par cette souche.
E. Coli est une bactérie du tube digestif très commune, qui peut facilement contaminer le conduit urinaire à cause de la proximité entre l’anus et l’urètre et déclencher des infections. Ici la souche de la bactérie s’est révélée être mutante, c’est-à-dire qu’elle possèdait différents gènes de résistance lui permettant de déjouer un grand nombre des stratégies d’attaque de différentes classes d'antibiotiques. Parmi eux figurait, pour la première fois aux Etats-Unis, le gène de la résistance à la colistine (gène mcr-1), un des antibiotiques utilisés en dernier recours . La bactérie restait néanmoins sensible aux carbapénèmes, une autre famille d'antibiotiques utilisée en cas de multirésistance.
Le recours à la colistine inefficace
La colistine est un vieil antibiotique. Commercialisé en 1959, il avait été abandonné dans les années 1980 car jugé trop toxique pour les reins. Depuis peu, il est à nouveau utilisé, en dernier recours, pour combattre les infections à bactéries multi-résistantes. La raison de son efficacité : sa faible utilisation n’a pas permis un contact régulier avec les bactéries et donc le développement de résistance (voir encadré).
Cet antibiotique avait cependant continué à être utilisé pour le bétail et certaines bactéries ont tout de même pu développer des résistances. La gène mcr-1 avait déjé été repéré en Europe et en Chine, le scénario se répète à présent aux USA.
La détection de cet agent pathogène présentant le gène mcr-1 "est un signe avant coureur de l’émergence d’une bactérie résistante à tous les antibiotiques" alertent les auteurs de l’étude. En effet, les bactéries s'adaptent à leur environnement et peuvent acquérir facilement des gènes de résistance en s'échangeant des plasmides, petits morceaux d'ADN circulaire potentiellement porteurs des ces gènes (voir encadré).
Si l'une d'elles acquiert tous les gènes de résistance aux antibiotiques, y compris celui de la colistine, un scénario catastrophe dans lequel n'existerait plus aucune molécule pour traiter l'infection se profile. Avec un taux de mortalité pouvant aller jusqu’à 50 %, ce type de bactérie est considérée par les Centres de contrôle et de prévention des maladies comme l’une des plus grandes menaces de santé publique.
"Une personne mourra toutes les 3 secondes si l'on ne fait rien"
"En 2050, une personne mourra toutes les 3 secondes dans le monde à cause d’une infection à bactéries multirésistantes si l’on ne fait rien", prévient Jim O'Neill dans un récent rapport sur la conduite à tenir face à l'antibiorésistance en Grande-Bretagne.
En France, depuis 2001, les campagnes de sensibillisation contre la surconsommation et le mésusage des antibiotiques ont permis de faire baisser la consommation. Mais, depuis 5 ans, elle repart à la hausse et la prescription reste innapropriée dans 60% des cas en ville et dans 40% des cas à l'hôpital.
"Il faut utiliser les antibiotiques de manière raisonnée que ce soit à l’hôpital ou en ville", explique le Dr Béatrice Demoré, pharmacien hospitalier au CHU Brabois de Nancy. "Et uniquement contre les infections bactériennes, poursuit-elle, contre les virus ils n’ont aucune action à part participer à la sélection des bactéries résistantes". Pour ne pas se retrouver sans armes contre les infections, il est nécessaire de continuer à éduquer les médecins et les patients mais il faut aussi miser sur la recherche. "Il est crucial de développer de nouvelles classes d’antibiotiques, d'explorer d’autres stratégies antibactériennes comme la phagothérapie ou de développer d’autres technologies capables de s’attaquer à ces bactéries multirésistantes."
Source : Patrick McGann, Erik Snesrud, Rosslyn Maybank, Brendan Corey, Ana C. Ong, Robert Clifford, Mary Hinkle, Timothy Whitman, Emil Lesho and Kurt E. Schaecher. Escherichia coli Harboring mcr-1 and blaCTX-M on a Novel IncF Plasmid: First report of mcr-1 in the USA. Antimicrobial Agents and Chemotherapy, 2016; DOI: 10.1128/AAC.01103-16
Qu’est ce que l’antibiorésistance ?
L’antibiorésistance est la capacité des bactéries à résister à l’action des antibiotiques. Alexander Fleming, lors de la remise de son Prix Nobel en 1945 pour la découverte de la pénicilline, prévenait déjà du danger de développement de résistances par les bactéries.
Ces micro-organismes sont capables de s’adapter à leur environnement et de se défendre contre des agresseurs potentiels et les antibiotiques en font partie. En effet, les bactéries peuvent posséder des gènes qui les rendent résistantes au mode d’action des antibiotiques. Ces gènes peuvent être présents de manière innée ou être acquise grâce à des mutations spontanées de leur ADN. Ils entraînent, par exemple, la modification de la structure des parois des bactéries qui les rend en quelque sorte "imperméables" aux antibiotiques.
Il existe toutefois bien d’autres stratégies qui sont susceptibles d’empêcher les antibiotiques d’agir. Comme ces transformations génétiques sont favorables à leur survie, elles les conservent. Elles peuvent aussi s’échanger facilement ces gènes de résistance grâce à des petits bouts d’ADN appelés plasmides.