Les malades alcooliques pourront-ils encore compter sur le baclofène ?
Une patiente a saisi le Conseil d'Etat à la suite de la décision de l'ANSM de réduire drastiquement les doses de baclofène autorisées dans la prise en charge de la maladie alcoolique. Une période d'incertitude s'ouvre pour les malades.
Aujourd'hui, le Conseil d'Etat a commencé à examiner la requête d'une malade alcoolique qui s'oppose à la décision d'abaisser la dose maximale autorisée de baclofène (qui passe à 80 mg par jour contre 300 auparavant). Cette décision a été prise "au titre de la sécurité", a affirmé le directeur général de l'Agence du médicament (ANSM), vendredi 16 février lors d'une audience au Conseil d'Etat.
Des scientifiques en désaccord
"Nous ne nions pas que le baclofène peut avoir un intérêt et a résolu le problème de certaines personnes" mais il doit "être traité comme les autres médicaments", a insisté le directeur général de l'ANSM, Dominique Martin. Selon lui, l'évaluation d'un médicament ne peut dépendre uniquement de cas individuels. Pour prendre sa décision, l'ANSM s'est appuyée sur une étude basée sur des chiffres de l'Assurance maladie. Cette dernière conclut que le baclofène à fortes doses (plus de 180 mg par jour) fait plus que doubler le risque de décès par rapport aux autres médicaments contre l'alcoolisme, et accroît de 50% le risque d'hospitalisation.
La décision de l'ANSM a été critiquée par plusieurs spécialistes, qui dénoncent un manque de concertation, un risque de rechute pour les alcooliques traités par baclofène et contestent la validité même de l'étude. "A aucun moment vous n'avez pensé que vous empêcheriez des alcooliques de se soigner en surinterprétant des résultats d'une étude discutable ?", a demandé l'avocat de la patiente, François Sureau, à M. Martin.
Quatre spécialistes ont soutenu la demande de la plaignante au Conseil d'Etat : le professeur de psychiatrie Bernard Granger, le docteur Renaud de Beaurepaire, l'un des premiers à avoir prescrit du baclofène à fortes doses en France, le professeur Philippe Jaury et l'épidémiologiste Catherine Hill.
Refus de délivrance des anciens dosages
Le baclofène, prescrit comme relaxant musculaire, est autorisé depuis 2014 pour traiter la dépendance à l'alcool, grâce à une recommandation temporaire d'utilisation (RTU). C'est dans le cadre de cette RTU que la dose maximale a été abaissée. L'ANSM fait valoir que des médecins ont toujours la possibilité de prescrire le baclofène aux doses qu'ils estiment pertinentes, en dehors de la RTU. Mais les défenseurs de la plaignante estiment que la "communication alarmiste" de l'ANSM a conduit des pharmacies à refuser de délivrer du baclofène à des patients qui prenaient de fortes doses.
Thomas Maës-Martin, époux et représentant de la requérante et fondateur du Collectif Baclohelp en a fait lui-même l'expérience. "Je me suis rendu dans 16 officines différentes, avec une ordonnance à 300 mg / jour, qui précisait bien que la prescription s’inscrivait dans un contexte hors RTU. Je me suis vu opposer 16 refus de délivrance. Par la faute de l’ANSM, des milliers de personnes sont en danger immédiat de rechute dans la maladie alcoolique car elles ne peuvent plus se faire prescrire ou délivrer en pharmacie leur médicament", a-t-il déclaré à Allodocteurs.fr. Thomas s'inquiète pour son épouse. "Avec un dosage à 300 mg de baclofène par jour, elle est passée d’une consommation de 2 litres d’alcool par jour à l’abstinence. À cette dose, elle est indifférente à l’alcool. En deçà, son appétence pour la substance réapparaît. Il lui reste une semaine de traitement. Ensuite, ce sera l’inconnu".
Le fondateur de Baclohelp souligne aussi les conséquences financières de ces nouvelle directives. "Une ordonnance hors RTU, c'est aussi un médicament qui n'est plus remboursé. 300 mg de baclofène par jour représentent environ 60 euros par mois. C'est énorme pour certains malades, désocialisés et rendus sans ressources à cause de leur alcoolisme".
L'ANSM étudie une demande d'autorisation de mise sur le marché (AMM) du baclofène visant spécifiquement le traitement de l'alcoolisme, déposée par le laboratoire Ethypharm. Le Conseil d'Etat a, quant à lui, mis sa décision en délibéré et devrait la rendre d'ici quelques jours.