Le venin, une arme biologique redoutable
Quel est le point commun entre une méduse, un serpent, une araignée et un scorpion ? Ce sont tous des animaux venimeux. Venimeux ne signifie pas forcément dangereux. Mais les morsures des serpents et les piqûres des scorpions causent chaque année entre 100.000 et 150.000 décès dans le monde, principalement dans les pays tropicaux. Le responsable est le venin ou plutôt les venins.
Les modes d'action du venin de serpent
Les venins fascinent autant qu'ils inquiètent. Ce sont des poisons d'origine animale représentant des armes d'attaque ou de défense d'un animal sur une autre espèce, y compris l'homme. Dans ce dossier, nous nous limiterons au venin de serpent.
Le venin est sécrété par une glande spécialisée, puis injecté dans l'organisme de la proie ou de l'agresseur par un crochet venimeux. Les venins ont deux types d'action. Celui des vipères, par exemple, va provoquer une réaction inflammatoire locale. Le membre mordu fait mal, il devient rouge, chaud et gonfle.
Le venin fait aussi coaguler le sang, ce qui peut entraîner des infarctus ou des accidents vasculaires cérébraux. Après cette phase de coagulation, un "effet rebond" se produit : le sang ne peut plus coaguler du tout, ce qui provoque des hémorragies. Les accidents liés aux hémorragies sont plus fréquents que ceux liés à la coagulation. Le membre touché par le serpent peut aussi se nécroser : le phénomène est dû aux enzymes présentes dans le venin qui sont capables de digérer les tissus.
Un deuxième type de venin, comme ceux des cobras, a une action neurotoxique. C'est-à-dire qu'il perturbe le fonctionnement des nerfs. Pour cette raison, la morsure bien que spectaculaire, peut être indolore parce que certaines des toxines sont anesthésiantes. D'autres vont empêcher les muscles de fonctionner parce qu'elles sont paralysantes. Si les muscles respiratoires sont touchés, la mort par étouffement peut intervenir deux à trois heures après la morsure.
La morsure est donc le mode d'injection le plus courant. Mais dans certains cas, le venin peut aussi être projeté. C'est le cas du Naja, un serpent africain cracheur à cou noir par exemple. Lorsqu'il est inquiété, il se dresse et peut projeter à plusieurs mètres en visant les yeux avec une précision étonnante. L'oeil est très douloureux et irrité. Il peut en résulter une cécité temporaire si l'oeil n'est pas rincé aussitôt. Dans les cas extrêmes, la cornée peut être endommagée.
La fabrication des sérums anti-venimeux
Pour traiter les envenimations, il existe les sérums anti-venimeux. Le sérum anti-venimeux doit être administré par voie veineuse, sous forme de perfusion, le plus rapidement possible après la morsure ou la piqûre. Le sérum agit en captant les toxines du venin. C'est à ce jour le seul traitement efficace. Les effets indésirables sont rares et le plus souvent bénins.
À la fin du XIXe siècle, la communauté scientifique s'intéresse de plus en plus aux venins. L'objectif est de mettre au point un sérum anti-venimeux. En France, Césaire Phisalix, médecin militaire, et Gabriel Bertrand, biochimiste, sont à l'origine du sérum anti-venimeux. Ils présentent leurs travaux le 10 février 1894 à la société de biologie à Paris.
Pourtant, c'est Albert Calmette qui est entré dans la postérité. C'est lui qui deux ans plus tard, fabrique le premier sérum anti-venin à usage médical. "Albert Calmette était convaincu que le sérum qu'il préparait à partir de venins de cobras était universel et pouvait neutraliser les venins de tous les serpents. Ce qu'on sait maintenant pour être faux", explique Max Goyffon, professeur honoraire au Muséum national d'histoire naturelle. C'est un médecin brésilien, Vital Brazil, qui découvre cette notion fondamentale : selon lui, il faut un sérum pour presque chaque serpent. La sérothérapie anti-venimeuse est née.
Pour fabriquer un anti-venin, on prélève d'abord le venin puis on le dilue et on l'injecte à un animal, le plus souvent un cheval. Le système immunitaire de l'animal produit des anticorps contre la molécule active du venin. On récupère ensuite ces anticorps et on les transfère à l'homme.
Mais pourquoi utiliser les anticorps d'un cheval ? Selon Max Goyffon, "on doit pouvoir préparer un sérum anti-venimeux à partir de n'importe quel gros mammifère parce que les chevaux supportent l'extraction de plusieurs litres de sang. On pourrait aussi bien immuniser des bovidés ou des moutons".
La technique de fabrication est simple et à peu évoluée. Mais progressivement les sérums polyvalents qui rassemblent les espèces les plus fréquentes et dangereuses d'une région géographique, remplacent les sérums monovalents, préparés contre le venin d'une seule espèce venimeuse.
Autre évolution : la forme du sérum anti-venimeux. "Les sérums anti-venimeux sont présentés sous deux formes : une forme lyophilisée et une forme liquide. La forme liquide est conservable trois ans, ce qui est peu. Le renouvellement des stocks doit être assez rapide, c'est donc une première difficulté. L'avenir est au sérum lyophilisé qu'on redissout sur le champ", précise Max Goyffon.
Une fois lyophilisé, un sérum anti-venimeux peut être conservé cinq ans à l'abri de la lumière. Et il ne nécessite pas de respecter la chaîne du froid. Quelle que soit la forme, la fabrication d'un serum anti-venimeux reste longue, deux ans en moyenne.
Des sérums anti-venimeux menacés de pénurie
Aujourd'hui, un des sérums les plus utilisés en Afrique subsaharienne est menacé de pénurie. Le "FAV-Afrique", c'est son nom, est efficace contre une dizaine de venins différents. Pourtant, le laboratoire qui le fabrique suspend sa production. À terme, Médecins Sans Frontières craint la crise sanitaire.
Nécrose, amputation, des séquelles irréversibles causées par une morsure de serpent. On en compte cinq millions chaque année dans le monde, elles sont responsables de plus de 100.000 décès surtout en Afrique. Depuis les années 80, un anti-venin, le FAV-Afrique, est utilisé. Il est efficace contre les venins d'au moins dix espèces de serpents parmi les plus dangereux d'Afrique subsaharienne.
Pourtant en 2010, le laboratoire qui le fabrique décide d'arrêter la production de cet anti-venin : "La demande publique des gouvernements et des ministères de la Santé en Afrique a été divisée par six, de 30.000 à 5.000 doses annuelles, ce qui représente de l'ordre de 1% des cas à traiter en Afrique. Il y avait surtout la mise à disposition sur le marché de produits au prix très inférieur par les producteurs issus de pays émergents. Et ce sont ces produits que les acheteurs gouvernementaux ont choisi. Les coûts étaient de l'ordre de 1 à 10. Du coup, nous ne pouvons plus être en concurrence avec des prix de cette nature", explique le Dr Jean Lang, responsable recherche et développement des laboratoires Sanofi Pasteur.
Les derniers stocks de cet anti-venin seront épuisés dans quelques mois. Face à cette pénurie, des ONG s'inquiètent de la mise sur le marché de produits moins efficaces. La solution serait que Sanofi Pasteur passe la main à un autre laboratoire pharmaceutique. Pour l'heure, aucune reprise n'est actée. Médecins sans frontières dénonce les conséquences de cette incertitude sur la santé des populations concernées.
L'objectif des ONG est de trouver une solution pour stabiliser le marché pour que les victimes puissent avoir enfin accès à des produits de qualité et à moindre coût. En effet, une dose d'anti-venin coûte entre 100 et 200 dollars. Un prix inaccessible pour les victimes de morsure de serpent le plus souvent issues de zones rurales pauvres.
Une solution pourrait être la subvention de ces traitements par les Etats eux-mêmes. Une décision qui a été prise, par exemple, par le Burkina Faso. Encore faut-il que les Etats se fournissent auprès de laboratoires qui fournissent des sérums anti-venimeux de qualité.