Crise sanitaire : des politiques devant la justice ?
Les responsables politiques français ont-ils bien géré la première vague de covid 19 ? Responsabilité des ministres ou responsabilité de l'Etat ? Qui sont les politiques visés par la Cour de Justice de la République ? Le point avec Rudy Bancquart.
C’est une des questions qui agite le débat public alors que la France traverse une deuxième vague, les responsables politiques français ont-ils bien géré la première vague de covid 19 ? Les politiques sont dans le collimateur de la justice et plusieurs plaintes ont été déposées, la dernière datant de mardi.
Après avoir retenu 253 plaintes de proches de victimes, d’organisations professionnelles ou de citoyens (par le biais de pétitions), le pôle de santé publique du parquet de Paris a ouvert quatre informations judiciaires pour "abstention volontaire de combattre un sinistre", "mise en danger de la vie d'autrui" et "homicides et blessures involontaires".
Un juge d’instruction va enquêter sur la gestion de la crise. Dans le viseur il y a des décideurs comme Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé et aussi des structures publiques comme santé publique France. Le procureur de la République Rémy Heitz précise que la loi exige la preuve d'une "faute qualifiée qui n'est pas une simple imprudence ou négligence".
Cette procédure n'a pas de chance d’aboutir , à moins de découvrir qu’un directeur d’hôpital avait des masques cachés et qu’il refusait de les donner ou alors apporter la preuve que Santé publique France a mal géré le stock de masques. Dans ce cas Santé publique France pourrait être condamnée mais de façon symbolique, ce serait l’institution mais pas ses dirigeants.
Des informations judiciaires
Des membres du gouvernement sont concernés par ces informations judiciaires. Pour ces membres du gouvernement il y a d’autres procédures en cours. L’une d’entre elles, est la commission d’enquête parlementaire menée par le Sénat et l’Assemblée.
Elle a débuté alors que la première vague n’était pas encore terminée. E. Philippe, O. Veran, S. Ndiaye ou encore A. Buzyn ont été auditionnés. La déclaration d'Agnès Buzyn a fait réagir car beaucoup lui reprochent justement de ne pas avoir anticipé et par exemple prévu suffisamment de masques pour les soignants.
À l’issue de cette commission d’enquête, les ministres ne risquent rien car les commissions d’enquêtes parlementaires ont essentiellement vocation à apporter un éclairage médiatique auprès des français.
Les parlementaires ne peuvent pas sanctionner, c'est la limite de cette procédure. Certains diront qu’elle offre une lumière médiatique bon marché à l’opposition qui les convoque, d'autres la considèrent comme un outil de transparence démocratique.
Des ministres poursuivis pénalement
Les ministres peuvent être poursuivis devant une juridiction particulière comme la Cour de justice de la République. Elle a d’ailleurs reçu 99 plaintes à l’encontre d'Agnès Buzyn, d'Olivier Véran, d'Edouard Philippe et de Jean Castex et en a retenu 9. Ils sont visés par une enquête judiciaire. Le motif retenu est "l'abstention de combattre un sinistre ".
Un délit puni de 2 ans de prison et 30 000 euros d’amende. Parmi les plaignants figurent des médecins libéraux. Concrètement, ils accusent les ministres d’avoir fourni avec retard des masques FFP2 alors qu’ils étaient en première ligne dans la lutte contre le virus ou encore le syndicat CGT-Pénitentiaire et le syndicat policier Vigi.
La Cour de Justice de la République
Cette cour est composée de 12 parlementaires et de 3 magistrats de la cour de cassation. Elle a été créée après l’affaire du sang contaminée. A l’époque L. Fabius et G. Dufoix avaient été jugés non coupables. Elle est rarement saisie et d’habitude plutôt lente.
Pour la première fois dans l'histoire, la CJR va se pencher sur la responsabilité pénale de ministres non pas après une crise, mais alors que la crise n’est pas terminée. C’est pour ça que Mr Véran, Mme Buzyn et Mr Philippe ont vu débarquer à 6 heure du matin, 80 enquêteurs à leur domicile et à leur bureau. Cette perquisition a permis de saisir des téléphones et la mémoire des ordinateurs.
La loi, c’est la loi !
Ni Mme Buzyn, ni Mr Véran n’ont fait de commentaires. Une perquisition chez eux qui ne sont plus en fonction parait normal. En revanche, la perquisition au domicile et aux bureaux du Ministre de la Santé en exercice, alors qu’il est en train de gérer une deuxième vague du virus peut sembler étrange.
Le seul à avoir évoqué sa mise en cause pénale c’est E. Philippe lors de son audition parlementaire. Comment prendre des décisions dans l’urgence parfois hors cadre sans s’exposer à d’éventuelles poursuites ?
Cela pose de nombreuses questions notamment celle de la paralysie du pouvoir. Si avant chaque décision, les ministres doivent prendre des précautions pour se couvrir afin d’éviter une procédure judiciaire pour les 10 ans à venir, voire pour éviter la prison…ça peut être du temps perdu et certains ministres pourraient même renoncer à mener certaines actions. Dans le même temps les politiques sont responsables, ils doivent rendre des comptes.
Réaction de la classe politique
Peu de commentaires dans l’opposition face à ces poursuites judiciaires, mais politiquement c’est positif de voir son adversaire avec des ennuis judiciaires. Une exception cependant avec JP Rafarin, qui, lui s’inquiète d’une dérive. Il aurait aimé que cette procédure se déroule après la crise sanitaire.
A la REM, ils sont inquiets. En off, un député dit se demander ce que cherchent les enquêteurs : "Si c’est un échange de mails dans lequel Olivier Véran et Edouard Philippe se mettent d’accord pour tuer un maximum de français, ils n’en trouveront pas".
Il y a ceux comme JL Bourlanges, député modem, qui pense que dans ce genre de crise il n’y a qu’une seule sanction valable dans un régime démocratique c’est la sanction des urnes. En effet qui doit juger de la gestion de la crise, la justice ou les citoyens ?
En conclusion
Aujourd’hui on est en plein paradoxe. A l’heure où des députés et des lobbies prient le gouvernement de rouvrir les commerces, d’autres l’accusent de ne pas protéger suffisamment la population au point d’attaquer des ministres en justice. On ne peut que souhaiter beaucoup de courage au ministre de la santé.