La pub pousse les portes des cabinets médicaux
La publicité pour les médicaments s'immisce de plus en plus dans les cabinets des médecins. Lorsqu'un médecin demande à un patient ses antécédents ou lorsqu'il propose un futur rendez-vous, sur son ordinateur, il est sollicité par des bandeaux publicitaires pour des médicaments en tout genre. Ces pubs ont un but : inciter le médecin à prescrire plus. Les explications avec Rudy Bancquart.
Une loi votée en décembre 2011 après l'affaire du Mediator avait fait en sorte de limiter l'impact de l'industrie pharmaceutique sur les médecins prescripteurs. Mais le lobbying a plusieurs facettes. Le lobbying a pour objectif d'influencer la loi. Alors logiquement les lobbyistes interviennent avant le vote de la loi.
Mais lorsque la loi est adoptée, certains lobbyistes ne baissent pas les bras et continuent de faire valoir leurs intérêts. Car pour qu'une loi soit appliquée, il faut que son décret d'application soit publié. Ce texte définit comment appliquer la loi. Et c'est précisément ce texte que les lobbyistes essaient aussi d'influencer.
Selon Olivier Rozand, médecin généraliste, c'est ce qui s'est passé concernant la publicité des laboratoires pharmaceutiques dans les cabinets des médecins. Comme la plupart des médecins, ce généraliste de Poussan (34) utilise sur son ordinateur un logiciel spécial qui l'aide dans sa pratique. C'est ce qu'on appelle des logiciels d'aide à la prescription. Le sien est Hellodoc mais il en existe d'autres comme Axisanté, Ordiges, Medicawin...
Des publicités sur les ordinateurs des médecins
Ces logiciels sont des outils intimes du médecin. Ils alertent sur une éventuelle interaction médicamenteuse au moment de la prescription, ils informent sur la posologie. Ils aident à la prescription à proprement parler mais ces logiciels intègrent un tas d'autres outils. Ils permettent aussi de gérer les dossiers des patients, leurs antécédents, l'établissement des feuilles de soins électroniques (avec la carte Vitale). Les médecins s'en servent aussi pour leur comptabilité et leur agenda.
C'est par le biais de ces logiciels que la publicité fait irruption sur l'ordinateur. Avant 2011, la publicité fleurissait partout, même pendant la prescription. Mais après l'affaire du Mediator, l'Assemblée nationale a décidé de faire le ménage parmi tous ces logiciels. L'idée est d'éviter au maximum que le médecin soit influencé par la publicité. Les parlementaires ont donc décidé de soumettre ces logiciels à une certification par la Haute autorité de santé (HAS). La loi votée est claire, elle stipule : "Cette procédure de certification participe à l'amélioration des pratiques de prescription médicamenteuse". Il s'agit d'une bonne mesure et le Dr Rozand se réjouissait d'avance de la disparition de la pub.
L'influence des lobbies
C'est au moment du décret d'application que les choses se sont gâtées. Il a d'abord fallu attendre trois ans pour que paraisse le décret, trois années pendant lesquelles le lobby de l'industrie pharmaceutique et les éditeurs de ces logiciels ont influencé le décret selon le Dr Rozand. Le décret a été pris par Marisol Touraine le 11 novembre 2014. Il est légèrement différent de la loi, il précise : "Les logiciels intégrant d'autres fonctionnalités que l'aide à la prescription médicale ne sont soumis à la certification que pour cette dernière fonctionnalité". La publicité est bien interdite mais seulement lorsque le médecin rédige son ordonnance. Elle reste donc autorisée partout ailleurs.
Aujourd'hui, la publicité apparaît sous différentes formes. Dès que le médecin allume son ordinateur, il a le droit à un bulletin d'information quotidien. "D'information", il n'a que le nom puisqu'il s'agit d'une succession de publicités. Ensuite, lorsque l'ordinateur se met en veille, une publicité apparaît. Un médecin témoigne dans Le Canard enchaîné : "Il suffit que j'ausculte un patient et les médicaments défilent. À force, ils me trottent dans la tête et je finis par les prescrire". Les médecins, qui sont de plus en plus nombreux à fermer leur porte aux visiteurs médicaux, ont vu l'industrie pharmaceutique entrer par leurs ordinateurs.
Concernant les recours possibles, le Dr Rozand a alerté le ministère. Il n'a obtenu aucune réponse. La Haute autorité de santé quant à elle, s'en remet au décret. Elle n'a aucun pouvoir. Face à cette situation, il a trouvé le soutien de Jean-Louis Roumegas, un député de l'Hérault, qui a interpellé à son tour la ministre de la Santé sur cette question. La réponse est sans équivoque : "La diffusion publicitaire est possible à partir des autres modules existants non soumis à la certification".
Soutenu par la revue Prescrire, une revue médicale indépendante, le Dr Rozand a finalement lancé une pétition, mais aujourd'hui il est forcé de s'accommoder de la publicité comme des milliers d'autres médecins. Pourtant, à l'heure où l'on ne cesse de réfléchir à faire des économies de santé, de mener des réflexions éthiques sur le métier... il n'aurait pas été très difficile de limiter plus efficacement cette publicité dans les cabinets médicaux.