Lobbies : la grande distribution s'attaque aux pharmacies
En France, la vente de médicaments est très encadrée par le Code de la santé publique. Seuls les docteurs en pharmacie peuvent vendre des médicaments et auto-tests, avec ou sans ordonnance, dans leur officine. Une situation de monopole qui attise les convoitises.
La grande distribution lorgne sur ce marché d'environ 3,3 milliards d'euros. En 2014, à force de bataille et de lobbying, Leclerc a obtenu le droit de vendre des tests de grossesse dans ses parapharmacies, ce qui était jusqu'alors le monopole des pharmacies d'officines.
Aujourd'hui, l'enseigne réclame le droit de vendre des médicaments sans ordonnance comme le paracétamol et tous types de tests de dépistage à faire chez soi. Il en existe pour dépister le VIH, le cholestérol ou encore pour tester la fertilité masculine. Officiellement, son objectif est de faire baisser les prix en instaurant de la concurrence. Officieusement, Leclerc y trouve un intérêt financier et redore son image de défenseur du consommateurs.
La stratégie de lobbying du groupe Leclerc
Pour parvenir à ses fins, le groupe Leclerc mise sur une communication d'influence, grâce à la publicité. On essaie de convaincre le grand public afin que ce dernier fasse pression notamment sur les politiques. Au sens large, on parle de lobbying. Leur publicité n'a pas été lancée par hasard. Elle s'inscrit dans un calendrier bien précis. En décembre 2018, l'autorité de la concurrence rendra une proposition concernant la vente des médicaments sans ordonnance. Il y a peu de chance que sa position soit différente de celle d'il y a cinq ans. Autrement dit, elle sera à coup sûr favorable à la vente en grandes et moyennes surfaces (GMS).
Leclerc fait aussi un lobbying plus classique. Depuis quelques années, le groupe fait notamment appel à un cabinet de lobbying. Ces lobbyistes rencontrent des fonctionnaires de Bercy, des conseillers à l'Élysée et des parlementaires. Les parlementaires LREM sont aujourd'hui difficiles à convaincre mais certains d'entre eux soutiennent Leclerc dans sa démarche depuis longtemps comme le sénateur Olivier Cadic, qui a d'ailleurs porté un amendement en ce sens en 2015. Michel-Édouard Leclerc n'hésite pas à mouiller la chemise et à demander lui aussi des rendez-vous auprès des ministres concernés.
Les pharmaciens contre-attaquent
Face à cette offensive, les pharmaciens réagissent. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que Leclerc s'attaque à leur monopole. En 1987, il provoque la profession en vendant de l'eau oxygénée, de l'aspartame ou encore de l'alcool modifiée. A l'époque, l'affaire se termine au tribunal et Leclerc gagne la partie, comme il gagne sur la vente des préservatifs ou plus récemment sur les tests de grossesse. Mais si Leclerc est un lobby puissant, les pharmaciens le sont tout autant !
La profession est très bien représentée à l'Assemblée nationale depuis toujours et jouit d'une certaine influence. Et chaque jour, trois millions de personnes poussent la porte des officines, ce sont des relais d'opinion et ils ne manquent pas de le rappeler à nos élus. Au-delà de ce lobbying, les pharmaciens ont aussi des arguments. Pour eux, il est inconcevable de casser leur monopole et de leur prendre une part du marché des médicaments sans ordonnance. Leur principal argument est qu'ils font partie du réseau de distribution de médicaments très sécurisé en France, un réseau qui fonctionne bien avec un conseil d'un professionnel de santé à la clé.
Il faut savoir que les personnes qui travaillent dans les parapharmacies des GMS ont suivi le même cursus que les pharmaciens d'officine. La seule différence, ils ne sont pas inscrits à l'Ordre des pharmaciens car l'Ordre refuse de les y inscrire parce qu'ils ne travaillent pas dans une pharmacie.
Les consommateurs favorables à la vente des médicaments en grande surface
D'autres voix se font entendre dans ce débat : les consommateurs ! UFC-Que Choisir et Familles rurales dénoncent tout d'abord une augmentation des prix des médicaments sans ordonnance de 29% ces dix dernières années. Ils sont donc favorables à leur vente en grandes et moyennes surfaces (GMS). Selon les calculs de l'UFC-Que Choisir, cela pourrait représenter une économie de 16% sur les dépenses de médicaments ce qui rendrait aux consommateurs 269 millions d'euros de pouvoir d'achat. Un argument qui pourrait faire réfléchir l'Élysée à l'heure où le ralentissement de l'économie française est annoncée.
Car si Emmanuel Macron était plutôt favorable lorsqu'il était secrétaire général de l'Élysée sous François Hollande au moment du rapport Attali, il s'était prononcé contre lorsqu'il était devenu ministre de l'Economie. Quelle décision prendra-t-il lorsque l'autorité de la concurrence rendra ses propositions en décembre prochain ? Affaire à suivre...