Santé : l'influence des lobbies religieux
Le lobby religieux est un lobby à part entière. Il prend de nombreuses formes et intervient dans les questions de société, mais aussi dans le débat médical et bioéthique. Les explications avec Rudy Bancquart.
Tout d'abord, il faut savoir que les lobbies sont autorisés en France. Pour comprendre le lobby des associations religieuses et le lobby des autorités religieuses, il faut prendre un exemple concret dans lequel ces lobbies religieux ont joué un rôle : la loi sur la fin de vie. Revoir la loi Leonetti était une promesse du président Hollande. Cette révision de la loi était portée par Jean Leonetti lui-même (ex-UMP) et un autre député : Alain Claeys (PS). Le but : créer "de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes" (avec notamment la question de la sédation profonde, directive anticipée).
Bataille de lobbies autour de la fin de vie
La communauté médicale est divisée sur le sujet tant il est sensible. Des intellectuels de tous bords qui ne sont pas en soi un lobby sont intervenus. Des associations laïques ont aussi joué leur rôle de lobby. C'est le cas par exemple de l'Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité, emmenée par Jean-Luc Romero qui milite pour la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté. Enfin, les associations religieuses et les autorités religieuses qu'il faut distinguer, partagent un point commun : la loi Leonetti, en l'état, va trop loin…
La fin de vie est une question éthique compliquée. Il n'est pas facile pour un parlementaire de se faire un avis avant de légiférer car les données scientifiques sur le sujet ne suffisent pas dans ce type de questions à forte dimension morale. Les convictions et les croyances jouent un rôle important dans l'élaboration de ce type de loi. Pour éclairer les parlementaires, il y a le Comité consultatif national d'éthique. Auparavant dans ce comité des sièges étaient réservés aux religieux, mais il y a deux ans François Hollande les a supprimés pour les remplacer par des laïcs spécialistes de la religion, ce qui a irrité les autorités religieuses.
L'action des autorités religieuses sur la fin de vie
Avant même qu'un calendrier soit en place, la Conférence des évêques de France a publié une déclaration sur la fin de vie où ils rappellent "qu'instaurer une aide active à mourir confronterait la société à des décisions inhumaines". Puis, les autorités religieuses des religions monothéistes ont été auditionnées pendant 2 heures 30, dans le cadre de la mission parlementaire sur la fin de vie. Une audition qui n'aurait pas dû avoir lieu pour les associations laïques au nom du principe de laïcité.
Et un an plus tard, comme l'union fait la force, à la veille de l'ouverture du débat à l'Assemblée nationale, cinq responsables religieux ont signé une tribune commune dans le journal Le Monde qui titre : "Chrétiens, juifs, musulmans, l'appel des religions contre la loi sur la fin de vie". Cela n'a l'air de rien pourtant c'est inédit. Les religions font front commun contre une loi. C'est ce qu'on appelle mettre la pression.
Les représentants des autorités religieuses ont un contact régulier avec une partie de la population. La rencontre avec les fidèles est un moment privilégié où il est toujours opportun de rappeler la vision officielle de la religion sur des problèmes de société. Ces représentants peuvent influencer une partie de la population. Une donnée qui n'est pas négligée par les politiques. C'est aussi la raison pour laquelle ils les écoutent.
Le poids grandissant des lobbies religieux
Le lobbying des autorités religieuses n'est pas nouveau. Mais parallèlement, une nouvelle forme de lobbying religieux s'est développée. Cela est vrai surtout chez les catholiques. Cela a commencé depuis 5/6 ans et s'est amplifié avec les manifestations contre le mariage pour tous. Le lobbying n'était pas dans la culture des mouvements associatifs catholiques, mais ils se sont peu à peu structurés comme aux Etats-Unis ou en Allemagne. La Croix en fait même ses gros titres (par exemple, "Les catholiques apprennent le lobbying". Et certains, comme le pape Benoît XVI en 2011, incitaient officiellement les familles à passer à l'offensive et à investir le terrain politique en matière de bioéthique.
Concrètement, c'est ce qu'on appelle les associations "pro-vie". Dans le débat sur la fin de vie, elles sont très actives comme "Soulager, mais pas tuer" ou "Alliance Vita", proche des mouvements catholiques traditionalistes, fondée par Christine Boutin, ou encore "La marche pour la vie" qui a lieu chaque année. Ils organisent des manifestations, des envois de mails aux parlementaires, des pétitions. Attention, toutes les actions ne sont pas toujours soutenues par la hiérarchie religieuse, en revanche, elles trouvent un écho chez certains parlementaires comme Philippe Gosselin ou Jean-Fréderic Poisson qui ne cachent pas leur proximité avec ces associations, mais aussi chez les 137 députés de l'Entente parlementaire pour la famille, vent debout contre cette loi.
Finalement la loi a été votée en première lecture à l'Assemblée avec la sédation profonde, élément que refusent les autorités et associations religieuses. Ce vote n'a pas été sans incident. Une photo publiée sur le Twitter de Michèle Delauney montre que des tracts ont été lancés dans les tribunes, histoire de forcer la main des députés. Mais ce lobbying n'a pas fonctionné à l'Assemblée. En revanche, les sénateurs y ont été plus sensibles puisqu'en octobre 2015, ils ont vidé la loi de sa substance. Un nouveau vote a eu lieu à l'Assemblée qui est revenu au texte initial, puis cela a été transmis à nouveau au Sénat et maintenant le texte fait l'objet d'une commission mixte paritaire afin de trouver une version commune.
La fin de vie n'est pas le seul débat dans lequel les religions sont intervenues. Il y a 30 ou 40 ans, les religieux ont joué un grand rôle dans les débats sur la pilule ou l'avortement. Ils sont aussi intervenus pour les lois de bioéthique, la PMA ou encore les cellules souches embryonnaires. Longtemps interdites en France, elles ont été ensuite soumises à autorisation. Mais en juin 2015, cinq autorisations ont été retirées à l'Inserm et au CNRS par le tribunal de Paris. Il avait été saisi par la fondation Lejeune, une association pro-vie d'inspiration chrétienne.