Essai clinique de Rennes : la molécule testée est bien à l'origine de l'accident
La molécule BIA 10-2474 du laboratoire portugais Bial est bien la cause de l'accident mortel survenu à Rennes en janvier lors d'un essai clinique de phase I destiné à évaluer son innocuité, estime un groupe d'experts mis en place par l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Ceux-ci pointent notamment "un effet d'accumulation des doses administrées" lors de l'essai.
Six volontaires, participant à l'essai clinique de phase I de la molécule BIA 10-2474, avaient été hospitalisés en janvier à Rennes et l'un d'eux était décédé. Quatre des survivants présentaient des lésions cérébrales et un autre aucune.
"C'est clairement la molécule qui est en cause. L'élément commun entre les victimes, c'est bien la molécule", a commenté Dominique Martin, directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) après la publication le 7 mars du premier rapport du comité d'experts mis en place par l'agence.
L'accident est probablement "un effet lié à la dose cumulée" de la molécule testée, jugent les experts dans le rapport. Ils observent en effet "l'absence de toxicité" de cette molécule "chez les autres volontaires dont certains avaient reçu une dose unique allant jusqu'à 100 mg ou des administrations répétées de 10 fois 20 mg, soit une dose cumulée de 200 mg". Les personnes hospitalisées avaient, elles, reçu 250 à 300 mg au total.
"Tout se passe comme si quelque chose basculait subitement à un seuil précis de dose ou de concentration", expliquent-ils.
Des doses plus de dix fois supérieures à celles théoriquement nécessaires
La molécule BIA 10-2474 appartient à une famille connue d'inhibiteurs d'une enzyme (la FAAH), qui empêchent la destruction de substances naturellement produites dans l'organisme ("endocannabinoïdes"), susceptibles d'apaiser la douleur et l'anxiété. D'autres laboratoires ont abandonné le développement de molécules de cette famille, à une étape plus avancée que l'essai de Rennes pour cause d'"inefficacité", notent les experts.
Ils s'étonnent aussi que la molécule BIA 10-2474 ait été administrée aux volontaires à une dose plus de dix fois supérieure à celle censée être nécessaire pour bloquer complètement l'enzyme FAAH.
Selon eux, la molécule se serait fixée "sur d'autres enzymes cérébrales" que celle initialement visée, ce qui expliquerait les troubles neurologiques observés. "Ceci suggère un effet « hors-cible » [de la molécule] pour expliquer l'accident", notent-ils.
Les experts ont écarté l’hypothèse d’un problème de fabrication de la molécule
Le profil des participants en question
Les experts de l'ANSM relèvent que plusieurs des volontaires étaient relativement âgés pour ce type de tests (jusqu'à 49 ans) et que certains présentaient des facteurs de risque "vis-à-vis de certains effets indésirables médicamenteux" qui auraient dû conduire à les écarter. A côté de problèmes de tension, ils évoquent par exemple "un antécédent de traumatisme crânien grave" chez l'un d'eux. Selon une source proche des auteurs du rapport, il s'agirait du volontaire décédé.
Ces spécificités sont les seules anomalies concernant les volontaires de l'essai. Aucune trace de cannabis, d'alcool ou de psychotropes n'a, par ailleurs, été décelée à ce jour chez elles.
Des essais préliminaires "inhabituels", aux résultats "sommaires"
Parmi les étrangetés du dossier BIA 10-2474, les experts de l'ANSM font cas d’éléments "inhabituels" dans les tests préalables sur l'animal. Ils jugent ainsi "surprenant" que le laboratoire ait fait des tests sur quatre espèces (rat, souris, chien et singe), au lieu de deux habituellement pour des substances ciblant le cerveau. Ce qui soulève la question de savoir si le laboratoire soupçonnait une éventuelle toxicité de sa molécule.
Autre critique : la démonstration sur l'animal d'un effet antidouleur de la molécule est a priori "beaucoup trop sommaire pour justifier la poursuite d'un développement, a fortiori chez l'homme".
Le comité se réunira à nouveau le 24 mars 2016 pour établir ses conclusions définitives.
Les experts de l'ANSM jugent par ailleurs "problématique" le passage d'une dose quotidienne de 20 mg (administrée au groupe précédent) à celle de 50 mg donnée aux victimes. Pour eux, les progressions dans les doses auraient dû être "plus raisonnables et prudentes".