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La recette pour rendre les organes transparents

Un gel à base d'eau, du détergent, un peu d'électricité... et vous obtenez un cerveau transparent. Un cerveau dont l'ensemble des réseaux et l'essentiel de la composition chimique sont intacts, et sur lequel on peut à l'envi effectuer toutes sortes d'expériences. Déjà testé sur d'autres organes, le procédé a été détaillé par ses auteurs dans le dernier numéro de la revue Nature. De quoi révolutionner les pratiques acquises de la neurologie et de l'anatomie.

Florian Gouthière
Rédigé le
©Medical Institute/Stanford University

Comment observer en détail l'intérieur d'un organe sans le disséquer, tout en préservant l'ensemble de ses structures internes ? Il "suffit" d'ôter les substances qui rendent la masse opaque - à savoir toutes les masses graisseuses - et d'y substituer un gel clair comme... de l'eau. Un tour de passe-passe sidérant qu'une équipe de chercheurs de l'Université de Stanford est parvenue à accomplir au terme de nombreuses années de recherche.

La technique, qui met en jeu des substances qui ne font pas nécessairement bon ménage avec l'organisme, n'est possible qu'avec des organes séparés du corps. N'envisagez donc pas trop vite une transformation en homme invisible. Néanmoins, les perspectives scientifiques de la découverte sont probablement tout aussi étonnantes.

Si les technologies existantes permettent d'étudier les neurones et leurs connexions avec précision, elles impliquent de disséquer l'organe en fines tranches, détruisant de manière irrémédiable la structure globale. Toute reconstruction par ordinateur ne produit qu'une simulation très imparfaite de l'organe. La méthode révolutionnaire mise au point à Stanford évacue ces problèmes, offrant au monde de la recherche la perspective d'embrasser toute la complexité d'un organe intègre d'un seul coup d'œil.

Ses inventeurs espèrent qu'elle permettra d'observer avec une précision inégalée jusqu'alors les structures cérébrales associées à différentes affections neurologiques telles que la schizophrénie, les troubles du spectre autistique, le stress post-traumatique, les troubles bipolaires ou la dépression...

Comment cuisiner votre cerveau de souris

L'expérience a été réalisée avec succès sur un cerveau de souris, ainsi que une portion de cerveau humain - la technique nécessitant d'être encore perfectionnée pour s'appliquer sur le volume complet de l'organe. Le procédé fonctionne théoriquement pour tous les tissus. Dans le communiqué de presse qui annonçait la publication des résultats dans la revue Nature, le docteur Chung, coauteur de la méthode, a expliqué avoir réalisé l'expérience avec succès sur un cœur, un foie et des poumons.

Pour réaliser l'expérience, munissez-vous d'un cerveau, que vous ferez baigner plusieurs heures dans un gel hydraulique - une substance essentiellement composée d'eau et de quelques grosses molécules assurant la cohésion de l'ensemble - choisi avec soin. Rapidement, l'hydrogel s'immisce dans les circonvolutions de l'organe et se connecte à la plupart des molécules... à l'exclusion des lipides. Le tout est ensuite chauffé trois heures à la température du corps humain, afin que le mélange se fige.

Le cerveau "confit" est ensuite placé dans une solution contenant un tensioactif, composé chimique capable de séparer les lipides du reste de l'organe (celui retenu par l'équipe dirigée par les professeurs Chung et Deisseroth est le laurylsulfate de sodium, produit détergent que l'on peut trouver dans certains dentifrices, shampooings ou mousses à raser). Enfin, un courant électrique d'une intensité contrôlée est appliqué. Les lipides migrent alors peu à peu vers la périphérie de l'organe, la place qu'ils occupaient étant immédiatement occupée par l'hydrogel. Le procédé est une application très particulière de l'électrophorèse (méthode qui permet de séparer les molécules en fonction de leur charge électrique).

Une biochimie quasiment intacte

L'intérêt majeur du procédé, baptisé "Clarity" par ses concepteurs, réside probablement dans le fait qu'il garde pour ainsi dire intactes les structures profondes du cerveau (réseaux et interconnexions de neurones, fibres nerveuses...) sans rien modifier de leur intégrité chimique.

Il est alors possible d'injecter dans l'organe gélifié différents marqueurs et colorants temporaires, qui mettront en relief ses différents niveaux d'organisation. En outre, et pour peu que quelques précautions aient été prises, rien ne s'oppose au fait que le cerveau transparent soit l'objet d'expériences et de manipulations répétées.

Secrets de fabrication

De nombreuses équipes scientifiques ont par le passé tenté de réaliser un tel exploit. Cependant, les meilleures techniques restaient extrêmement destructrices, entraînant la disparition de plus de 41% des protéines. L'idée révolutionnaire de l'équipe de Chang et Deisseroth a consisté à utiliser un gel à base d'acrylamide - le même gel couramment utilisé pour réaliser les fameuses électrophorèses. Avec ce composé, le taux de perte avoisine désormais 8%.

La difficulté fut ensuite pour les chercheurs d'ajuster au mieux les quatre paramètres de la composition du gel, de la solution tensioactive, de la température de trempage et de l'intensité électrique. Dans un commentaire à destination de la presse, le docteur Chung révèle que plus d'une centaine de cerveaux ont "fondu ou cuit" avant que ne soit identifiée la bonne recette.

Celle-ci n'est désormais plus un secret de grand chef : décrite avec précision dans le numéro 496 de Nature, il ne reste plus qu'à ce que les chercheurs de toutes disciplines s'en emparent.

Demain, une bibliothèque de prêt d'organes de référence ?

Dans l'éditorial que la revue scientifique consacre à la découverte, plusieurs scientifiques jugent que celle-ci constitue "l'une des plus importantes avancées de la neuroanatomie de ces dernières décennies".

La technique a fonctionné sur une portion d'un cerveau humain conservé dans le formol. Il est donc en théorie désormais possible d'analyser des cerveaux conservés sur des étagères depuis de très nombreuses années.

"[Notre méthode pourrait permettre de] transformer des spécimens d'organes malades rares et fragiles en des [objets d'étude] réutilisables", commente le professeur Deisseroth, imaginant déjà une "bibliothèque de cerveaux" auprès de laquelle les chercheurs pourraient effectuer des emprunts.

Source : Structural and molecular interrogation of intact biological systems. Kwanghun Chung, Karl Deisseroth et al. Nature. 2013. doi:10.1038/nature12107

 

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