Attentats : le témoignage de Pierre, rescapé du Bataclan
Les conséquences psychiques seront très lourdes pour celles et ceux qui ont vécu l'enfer de attentats de Paris, quand bien même elles s'en seraient sorties physiquement indemnes. Nous avons recueilli le témoignage de Pierre, qui s'est retrouvé piégé vendredi soir dans l'enceinte du Bataclan.
Pour Pierre, présent au Bataclan le soir des attentats, le sentiment le plus envahissant aujourd’hui est celui de la culpabilité : "Pourquoi je ne suis pas mort, et les autres ne sont pas vivants ? Pourquoi je n’ai pas aidé les gens ? Pourquoi, lorsque je courrais, je marchais sur les gens ? Pourquoi, lorsque j’étais dans les couloirs, j’ai poussé les gens, pour m’échapper moi, plutôt que de leur prendre la main, et partir avec eux ? Pourquoi cette femme enceinte a été piétinée ? Pourquoi ces gamins ont reçu une balle, alors que ce n’était même pas le début de leur vie, alors qu’ils étaient juste en train de commencer à kiffer des choses que l’on adore tous… On se dit qu’on n’a pas le droit de vivre à leur place."
Parvenu à s'enfermer dans les sanitaires, il a passé un très long moment - qu'il estime avoir duré 2h30 - à entendre les cris, les tirs, les bruits du rechargement des kalachnikovs, puis les terroristes marcher, et placer ce qui s'avérerait être une bombe. Jusqu'à l’assaut du RAID, où les membres du corps d'élite lui ont demandé de sortir, de lever les mains et de ne pas se retourner…
"Je ne sais pas si c’est de la curiosité mal placée, si c’est quelque chose de malsain, je ne sais pas… mais je pense qu’il y aussi quelque chose de l’ordre de la défense, pour vérifier qu’il n’y a pas quelque chose d’autre qui peut vous arriver… Donc on regarde, et puis là, forcément, on voit : on voit tous les cadavres, le sang… Des jeunes… […] Ce n’étaient que des gamins qui voulaient s’amuser."
Face à la scène, Pierre est profondément choqué. "On respire fort, on respire comme si on allait se noyer, pendant une demi-heure, trois quart d’heure, on voit flou, on voit des petites étoiles, et le corps tremble complètement."
Il est emmené à l’hôpital de l'Hôtel-Dieu, voir un psychologue de l’armée. "On nous a dit que ça ne servait à rien de voir un psychologue normal [mais qu’il fallait voir] un psychologue de guerre, car [on avait vécu] quelque chose qu’un Français ne peut pas connaître."
Pierre est rentré chez lui. Dans son lit, il entend de nouveau les bruits de pas, les bruits de kalachnikovs, qu’il avait entendus plus tôt cette nuit là. Puis, une enfant qui criait dans la rue : "je savais que c'était une enfant, mais j’ai entendu les terroristes qui criaient, à la place"…
La psychologue de l’Ecole Militaire qui l’a pris en charge n’a dit que peu de mots, "mais cette personne […] qui sait ce qu’elle fait […] nous écoute, et dans ses yeux, il n'y a pas de jugement, elle n'est pas terrorisée, elle n'est pas attristée du tout - sûrement dans son fort intérieur, mais pas dans ses yeux - et les yeux c'est finalement ce qui fait toute l'humanité."
Cette sérénité lui a "fait du bien". Elle l'a également rassuré sur le fait que toutes les émotions, toutes les peurs et les angoisses qu'il ressentait aujourd’hui étaient "normales", et qu'elles partiraient "doucement".