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Vaccin anti-papillomavirus : plainte contre l'Agence européenne du médicament

Des experts médicaux dénoncent la manière dont l’Agence européenne du médicament (EMA) a traité les signalements d’effets secondaires sur des vaccins anti-papillomavirus. Sans se prononcer sur la validité scientifique des conclusions – rassurantes – de l’EMA, ils jugent que les garanties d’objectivité et de transparence ne sont pas réunies. Déposée fin mai, la plainte est aujourd’hui médiatisée par un article du journal Le Monde.

La rédaction d'Allo Docteurs
Rédigé le , mis à jour le

En 2015, le Danemark demande à la Commission européenne que soit déterminé si divers symptômes, ponctuellement signalés comme de possibles effets secondaires d’une vaccination anti-HPV, sont réellement liés à cette injection. Cette demande fait suite à la description par la médecin danoise Louise Brinth (voir encadré) de quelques cas qui soulèvent cette hypothèse.

Saisie du dossier, l’Agence européenne du médicament doit rapidement déterminer si ces symptômes apparaissent plus fréquemment chez les personnes vaccinées que chez des personnes non vaccinées. Un rapport, publié fin 2015, conclut à l’absence de lien de causalité.

Mais les conditions d’objectivité et d’indépendance nécessaires à la constitution d’un tel rapport n’auraient pas été réunies, de l’avis du chercheur Peter Gøtzsche (voir encadré), qui a formulé en juin une plainte à l’encontre de l’EMA (plainte dont "les aspects majeurs" ont récemment été déclarés "recevables" par le Médiateur européen).

Dans un article du journal Le Monde, daté du 9 décembre, Peter Gøtzsche précise l’intention derrière cette plainte : "Nous ne disons pas que ce lien de causalité est certain ou que le rapport bénéfice/risque de ces vaccins est défavorable. Ce que nous contestons, c’est la manière dont l’EMA a traité cette alerte."

Des données issues des fabricants, non vérifiées par l'EMA ?

Les soupçons de Gøtzsche se fonderaient sur la lecture d’une version de travail, confidentielle, du rapport de l’EMA.

Tom Jefferson, co-auteur de cette plainte, affirme au Monde que la documentation à laquelle il a eu accès ne contient "aucune trace d’une analyse indépendante des données par les experts de l’EMA". L’Agence, poursuit-il, "a posé une série de questions aux fabricants, qui ont interrogé eux-mêmes leurs propres bases de données. Mais l’EMA n’a pas vérifié ces données, elle n’a pas conduit les analyses elle-même !"

Or, rappelle le quotidien, la façon dont les effets secondaires sont recensés dans les bases de données des laboratoires fait que les signalements spécifiques aux agences sanitaires sont parfois minorés.

Ces bases de données sont loin d'être les seuls éléments sur lesques se fondent les recommandations de l'EMA. Parmi eux se trouvent de nombreuses études épidémiologiques et observationnelles indépendantes, qui ne font pas l'objet de critiques de la part des auteurs de la plainte.

Un consensus obtenu dans des conditions "confidentielles"

Par ailleurs, explique Peter Gøtzsche, alors que la rapport final donne "une impression d’unanimité des experts", le rapport intermédiaire montrerait au "contraire que certains d’entre eux se montrent très critiques vis-à-vis de certains arguments". Certains auraient ainsi considéré que l’argument selon lequel la fréquence des symptômes étudiés n’était pas augmentée dans la population qui avait reçue le vaccin anti-HPV "manquait de solidité". Interrogée par Le Monde, l’Agence européenne du médicament affirme que les échanges entre les membres de la commission ont permis de parvenir à un consensus : "le premier rapport contenait un certain nombre d’hypothèses et de questions à traiter, qui ont été discutées et résolues dans le rapport final".

Les clauses de confidentialité très strictes qui encadrent les délibérations rendent toutefois difficile la confirmation ou l’infirmation de ces propos. Ce manque de transparence de l’institution est au centre des griefs des plaignants.

Les signataires de la plainte

M. Gøtzsche est directeur d’une section scandinave de la collaboration Cochrane – référence internationale en matière d’analyse de la pertinence des études médicale. Sa plainte a notamment été cosignée par la danoise Louise Brinth (auteure de la publication à l'origine des requêtes du Danemark à l'Union Européenne en 2015) et par l’épidémiologiste Tom Jefferson [1].

Manque de précautions concernant les conflits d'intérêts ?

Troisième point litigieux, mis en exergue par l’article du Monde : le fait qu’Andrew Pollard, le président de l’un des groupes scientifiques de l’EMA avait mené entre 2010 et 2014 des études financées par des laboratoires commercialisant par ailleurs des vaccins anti-HPV.

Alors que d’autres experts présentant de potentiels conflits d’intérêts n’ont pas été autorisé à être présents lors des délibérations, comme le veut le règlement de l’EMA, M. Pollard n’aurait pas été écarté. Le Monde précise que l’intéressé n’a pas répondu aux sollicitations de son journaliste sur ce point.

Il est important de souligner que l'EMA n'est pas la seule institution a avoir travaillé sur le rapport bénéfice/risque des vaccins anti-HPV. Sur la base de ses propres investigations, l'Agence française de la Sécurité du Médicament (ANSM) avait confirmé en 2013 que ce rapport bénéfice/risque restait favorable. Fin 2015, une étude française portant sur 2,2 millions de jeunes femmes (ce qui en fait probablement l'étude la plus importante sur la question) avait conclu que ces vaccins ne présentaient aucun danger pour leurs utilisatrices.

 


[1] Tom Jefferson est connu pour défendre des positions très controversées sur le vaccin anti-grippal; il affirme ainsi que ce vaccin n’entraîne pas de réduction substantielle de taux de mortalité, et qu’il relève "du marketing, et non de la science". Ces allégations et les méthodes employées pour les argumenter font l’objet de vives critiques de la part de ses homologues. Concernant d’autres aspects de la vaccination, ses positions n'ont longtemps pas sensiblement divergé d'un consensus scientifique international. En 2004, Tom Jefferson a ainsi mené pour la collaboration Cochrane une évaluation de l’innocuité des adjuvants à base d’aluminium, concluant à l’absence de preuve de leur dangerosité.

La question des groupes témoins

Dernière critique des plaignants : la qualité des essais cliniques réalisés autour des vaccins anti-HPV. Les essais destinés à déterminer l’innocuité de ces produits pharmaceutiques auraient été menés en comparant ceux-ci "à d’autres vaccins, ou à des placebo contenant des adjuvants aluminiques". Ils estiment que pour certifier l’innocuité du vaccin, l’expérience aurait dû être réalisée contre un placebo sans aucune substance susceptible d’interagir avec l’organisme (ce qui n'a été fait "que dans une seule étude de petite envergure"). L’argument porte toutefois peu, au vu des données scientifiques accumulées au niveau international sur l’innocuité de ces adjuvants aux doses présentes dans les vaccins – une importante méta-analyse en ce sens ayant même été réalisée par l'un des cosignataires.

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