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Harcèlement des femmes en ligne : des traumatismes qui n'ont rien de virtuel

Le harcèlement des femmes sur Internet les atteint psychologiquement et physiquement. Pourtant, les harceleurs bénéficient d'une quasi-immunité.

Maud Le Rest
Rédigé le , mis à jour le
Le Centre Hubertine Auclert a lancé en 2015 puis en 2016 deux campagnes « Stop Cybersexisme ».

"J'avais envie de me retrouver avec le visage plein de coups pour qu'en me regardant, on se dise : « Il y a un problème, qu'est-ce que c'est ? Viens, on s'en occupe »", racontait Marion Seclin, comédienne et YouTubeuse, lors d’une conférence TEDx postée sur YouTube le 29 novembre 2017. En 2016, la comédienne a été victime d’un des cas les plus graves de violence en ligne recensés en France, avec plus de 40.000 commentaires menaçants et insultants sous l'une de ses vidéos. Une vidéo qui traitait – un comble – du harcèlement de rue. Pour elle, les violences en ligne faites aux femmes restent un problème largement méconnu. Et les victimes sont rarement prises au sérieux.

Pourtant, d'après un rapport d’ONUFemmes, 73% des femmes ont déjà été victimes de violences sur Internet, et 18% d’entre elles ont déjà subi une forme sérieuse de violence en ligne. Partant de ce constat, le Haut Conseil à l'Egalité entre les Femmes et les Hommes (HCE) a rédigé un rapport pour aider à prévenir ces violences, punir les coupables et venir en aide aux victimes. Le document a été remis le 7 février à Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État au Numérique. 

Les menaces de viol et les insultes sexistes, outils privilégiés des harceleurs

Les violences en ligne faites aux femmes se caractérisent le plus souvent par des messages insultants et/ou violents, souvent répétés et visant directement leurs victimes pour ce qu'elles sont : des femmes. Aussi les menaces de viol et les insultes sexistes sont-elles les outils privilégiés des harceleurs en ligne. Et leurs répercussions vont bien au-delà de la cyber-sphère, comme l'explique Marion Seclin : "La seule différence entre le monde virtuel et le non-virtuel, c'est qu'on ne peut pas se voir. […] Il n'existe pas de monde virtuel. Tout ce qui se passe en ligne se passe dans la vraie vie".


Captures d'écran extraites du rapport du HCE

En ce sens, le rapport du HCE précise qu'il est nécessaire de préférer le terme de "violences en ligne faites aux femmes" à celui de cyberharcèlement. En effet, le harcèlement dont il est question atteint réellement les victimes, psychologiquement et physiquement. "Les traumatismes subis par ces femmes relèvent du stress post-traumatique", estime le Dr Gilles Lazimi, médecin généraliste et membre du HCE. "C'est une atteinte à l'image, à la personne. Ca peut entraîner un état de dépression. Ces messages sont intrusifs et peuvent provoquer des cauchemars, des peurs paniques. Les menaces sur Internet, de viol en particulier, ce n'est pas anodin", prévient-il.

"Un retentissement sur la santé mentale et physique"

D'après le rapport du HCE, qui cite la psychiatre Muriel Salmona, ces violences "ont un retentissement sur la santé mentale et physique qui peut entraîner des conséquences, non seulement à court terme, mais également à long terme, avec l'installation […] de conduites d'évitement et de contrôle […], accompagnées de troubles anxio-dépressifs, de troubles du sommeil, d'un impact sur la vie sociale, affective et sexuelle". Ce type de message relève en outre de l'injure publique, qui est passible de 12.000 euros d'amende. Mais pour les victimes, il est quasi impossible de porter plainte contre un individu qui se cache derrière un pseudonyme. Et cela devient encore plus difficile quand, comme dans le cas de Marion Seclin, il faut porter plainte contre 40.000 personnes.

Ces messages de haine sont par ailleurs rarement supprimés par le site sur lequel ils sont postés, indique le HCE. "Le premier testing inédit sur le sexisme des réseaux sociaux, réalisé par le HCE et ses partenaires, révèle une très grande impunité vis-à-vis de ces discours de haine, avec une modération insuffisante, aléatoire et non graduée, parfois trop lente : seuls 8% des contenus sexistes signalés ont été supprimés", alerte le rapport. Cette absence de modération pose évidemment problème pour les victimes, qui sont constamment confrontées à leurs harceleurs.

Et les intéressés savent jouer de cette impunité, notamment lors des phénomènes de "raids". Certains d’entre eux, réunis sur des forums ou des réseaux sociaux, décident parfois de prendre une personne pour cible et l'abreuvent de menaces et d'insultes. D'après le HCE, ces raids visent le plus souvent "les femmes qui dénoncent le sexisme : […] des journalistes, des femmes politiques et des militantes féministes".

Captures d'écran extraites du rapport du HCE

Nadia Daam, victime du harcèlement de masse

Récemment, la journaliste de Slate.fr, d'Arte et d'Europe 1 Nadia Daam en a fait les frais. Tout commence lorsque les militants féministes Clara Gonzales et Elliot Lepers décident, le 27 octobre, de créer un "numéro de téléphone anti-relous". Le but ? Permettre aux femmes confrontées à un "dragueur" trop insistant de lui donner ce numéro pour s'en débarrasser. Mais c'était sans compter sur les membres du forum Jeuxvideo.com, repaire de harceleurs antiféministes notoires. Quasi-instantanément, ceux-ci prennent d’assaut la ligne. Face au harcèlement de masse, les auteurs se voient contraints de clore le numéro.

À lire aussi : "#MeToo, #BalanceTonPorc : des hashtags pour dénoncer les violences faites aux femmes"

Nadia Daam décide alors de les soutenir lors d'une chronique sur Europe 1, et qualifie les membres du forum de "gens dont la maturité cérébrale n'a visiblement pas excédé le stade embryonnaire". Très vite, elle reçoit des menaces de mort, de viol et des insultes racistes, par mail, SMS et appels. On tente de pirater ses comptes Internet, et des messages anonymes lui indiquent qu'on sait où elle habite. Sur Jeuxvideo.com, les internautes continuent de déverser leur haine, et l'un d'eux cite le nom de sa fille. Enfin, dans la nuit du 1er au 2 novembre, Nadia Daam entend frapper violemment à la porte de son appartement. Elle soupçonne aussitôt ses harceleurs. Depuis, la journaliste a porté plainte pour "menace de crime contre les personnes".

Familiariser l'ensemble du corps médical aux nouvelles technologies

Clara Gonzales, pour sa part, confie que le harcèlement dont elle a elle-même fait l'objet "est allé jusqu'à des appels. Il y avait des menaces de meurtre, de viol, de torture… Quand j'ai vu la toile s'emballer, j'ai angoissé. Et je me suis autocensurée. J'ai arrêté de mentionner le forum, et j'ai posté un message sur Twitter pour dire « d'accord, vous avez gagné »". Pour la militante, qui a participé au rapport du HCE, "faire des études comme celle-ci, c'est une première étape dans la compréhension du phénomène, pour le saisir au niveau social".

Image extraite du rapport du HCE

Elle estime par ailleurs qu’"il y a un vrai travail à faire, notamment chez les professionnels de santé". Le Dr Lazimi acquiesce : "On est dans le domaine des violences, c'est pour cela qu'il faut enseigner l'impact des violences en ligne sur la santé à l'université". Selon lui, il faut également familiariser l'ensemble du corps médical aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, "des outils dont on peut se servir pour agresser et contrôler".

"Prendre en charge à 100% les soins somatiques et psycho-traumatiques"

En ce sens, le rapport préconise de "former l’ensemble des professionnel.le.s de santé (médecine généraliste, services des urgences, infirmier.e.s scolaires) aux conséquences des violences en ligne sur la santé des femmes victimes" et de "prendre en charge à 100% par l'État les soins somatiques et psycho-traumatiques dispensés à toutes les victimes de violences, y compris majeures, incluant les soins dispensés par des psychologues, des médecins et des psychiatres formé.e.s et spécialisé.e.s sur les conséquences psycho-traumatiques des violences".

En attendant l’application de ces recommandations, le collectif Féministes contre le cyberharcèlement, qui a participé au rapport du HCE, refuse de se laisser abattre : "La rue est déjà devenue le fief des hommes, tout est fait pour que les femmes n’osent s’y attarder et ne fassent qu’y passer, parfois la peur au ventre : aménagement urbain, équipements publics destinés aux hommes, harcèlement sexiste incessant, peur des viols et des agressions sexuelles… Ne laissons pas l’espace numérique devenir, à son instar, un espace pensé par les hommes et pour les hommes, un espace où les violences faites aux femmes s’exercent impunément, un espace d’inégalité, où règnent sexisme et discriminations".

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