Chirurgien pédophile : des victimes auraient pu être épargnées
Selon nos confrères de Radio France, l’alerte avait été donnée dès 2006 par un psychiatre de l’Hôpital de Quimperlé où exerçait Joël Le Scouarnec, sur le point d’être jugé aux assises pour abus sexuels.
"Je suis allé le voir, je lui ai formulé le fait qu’à mon avis il y avait quelque chose de dangereux dans sa pratique chirurgicale, quelque chose de délétère.” Le Dr Thierry Bonvalot se souvient bien de cet entretien avec Joël Le Scouarnec lorsqu’il le raconte à la cellule investigations de Radio France.
"Je lui ai demandé de démissionner"
Nous sommes alors au printemps 2006 et le Dr Bonvalot, psychiatre et président la Commission médicale d’établissement (CME) de l’hôpital de Quimperlé (Finistère) vient de découvrir que Joël Le Scouarnec, chirurgien, a été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour détention d’images pédopornographiques quelques mois plus tôt, par le tribunal de Vannes. Et face à d’autres comportements inquiétants, il aborde directement son “confrère”. “Je lui ai dit que sa place n’était pas à l’hôpital, et je lui ai demandé de démissionner", poursuit le Dr Bonvalot. Mais face à lui, le chirurgien marque un long silence, avant de répondre : "On ne peut pas m’y obliger."
Et celui qui va être jugé par la cour d'assises de Charentes-Maritimes à partir du 13 mars pour abus sexuels sur 4 fillettes en parallèle d’une instruction supplémentaire concernant 349 victimes est resté en poste... Pourtant, le Dr Bonvalot venait aussi d’alerter la direction de l’hôpital. Car en plus de sa récente condamnation, le chirurgien avait défendu bec et ongle l’un de ses collègues, accusé de viol sur des patientes, et qui sera ensuite condamné à 18 ans de prison par la justice.
Une note à la DDASS.. mais aucune enquête
Après un échange verbal avec le directeur, le président de CME lui écrit officiellement pour signaler ses doutes quant à "la capacité du Dr Le Scouarnec à garder toute sa sérénité au contact de jeunes enfants". L’établissement décide alors que le chirurgien sera désormais accompagné lors des consultations de patients mineurs. Nos confrères de Radio France n’ont pas pu vérifier la mise en œuvre de cette mesure.
Mais ils ont pu consulter la note confidentielle rédigée par le directeur, André Labat (décédé aujourd’hui) au directeur de la Ddass du Finistère. Il y évoque bien la condamnation de Joël Le Scouarnec pour avoir "visité des sites pornographiques et pédophiles". Mais il fait dans le même temps son éloge, décrivant "un praticien sérieux et compétent. Disponible pour travailler dans l’intérêt de l’établissement".
Des dizaines de victimes supplémentaires
Il n'y aurait aucune trace de mesure disciplinaire, ni enquête à la suite de ce courrier. Alors non seulement le chirurgien n’a pas immédiatement quitté l’hôpital de Quimperlé, mais il a ensuite poursuivi son exercice... et multiplié ses victimes jusqu’à son arrestation en 2017 où il opérait à Jonzac - d'où le nom donné initialement à l'affaire du "chirurgien de Jonzac".
D’après ses terribles “carnets” où il tenait le journal de ses agressions, Joël Le Scouarnec aurait agressé 69 victimes après sa condamnation en 2005, selon un décompte réalisé par franceinfo et la cellule investigation de Radio France. Donc presque autant d’enfants qui auraient pu être protégés si le chirurgien avait été stoppé à Quimperlé.
Son procès doit avoir lieu les 13, 16 et 17 mars devant la cour d'assises de la Charente-Maritime à Saintes. L'ancien chirurgien comparaîtra pour abus sexuels sur quatre fillettes. Mais au total, 246 plaintes ont été déposées contre lui et la justice chiffre désormais à 349 le nombre de ses victimes potentielles.
Si les parents de la jeune fille qui a déclenché l’affaire demande une audience publique, les nièces de l’accusé, également victimes, souhaitent le maintien du huis clos.